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THEOLOGIE

H e r m é n e u t i q u e
T h é o l o g i q u e

 

Thèse 1 – Écriture et Tradition                                         

     

    Qu’est-ce que la Révélation ?
La problématique de la Réforme protestante – et le radicalisme de la Sola Scriptura niant toute place à la Tradition – oblige l’Eglise à théoriser d’avantage le rapport entre Ecriture et Tradition. Toutes deux transmettent l’unique Evangile (Trente), ce dernier étant compris d’abord comme corps de doctrine : source de toute vérité salutaire et de toute règle morale. Si Dei Filius (Vatican I) rappelle qu’à la seule Eglise appartient l’interprétation authentique des Ecritures, une première ouverture se fait cependant vers une redéfinition de la Révélation qu’est l’Evangile. C’est cependant Dei Verbum (Vatican II) qui explicite son contenu : c’est Dieu lui-même (et non plus tant une doctrine) qui - dans le Christ et particulièrement dans son Mystère Pascal - se révèle aux hommes comme à des amis, et par là-même leur communique sa vie divine.

     Le rapport Ecriture-Tradition n’est donc plus vu de manière binaire, mais il vit d’une réciprocité mystérieuse dont l’unité vient de l’Esprit Saint. Ecriture et Tradition forment un tout – le « Dépôt sacré » de la Foi, partageant la même source (l’Esprit Saint) et la même fin (DV 9). L’Ecriture n’épuise donc point la Révélation (DV 9. FR 55). Dans l’Eglise « qui croit et qui prie », souffle l’Esprit, et le « Dépôt de la Foi » s’enrichit sans cesse de la Tradition ainsi renouvelée, et toujours fondée sur l’Ecriture qu’elle explicite. La Tradition est donc un critère herméneutique pour la Vérité doctrinale de l’Ecriture.

     Comment discerner la Tradition (parmi les traditions) ? L’Esprit Saint permet ce discernement, et aide à garder le « Bon Dépôt » (2 Tm 1,14). Il introduit l’Eglise dans la « Vérité toute entière » (Jn 16,13), par l’intermédiaire des Apôtres et de leurs successeurs, qui transmettent ce qu’ils ont reçus, mais aussi par l’intermédiaire du peuple chrétien tout entier, oint par l’Esprit, et qui dès lors ne peut faillir dans la foi (LG 12 sur le sensus fidei).

     Comment interpréter l’Ecriture ? Dei Filius insiste encore sur Dieu comme Auteur et pas seulement Inspirateur et Garant de la sainteté de l’Ecriture. Mais dans le siècle qui sépare les conciles Vatican I et II, l’hagiographe ou écrivain sacré trouve peu à peu sa place : instrument, membre, cause instrumentale, organe de l’ES, instrument vivant et doué de raison… DV 11 appelle alors ces hagiographes « vrais auteurs ».
     Et puisque l’Esprit a parlé à des hommes à la manière des hommes, il convient de creuser par l’exégèse ce que ceux-ci ont vraiment voulu dire (DV 12) et ce qu’il a plu à Dieu de faire passer par leurs paroles : c’est le rôle de l’analyse littérale, mais qui doit être complétée d’une herméneutique spirituelle. Cette dernière découvre le sens exact des textes sacrés en les replaçant dans la cohérence de toute l’Ecriture (1), de la Tradition de l’Eglise (2), de l’analogia fidei (i.e. du dogme) (3).
     Le Christ est dès lors l’Herméneute ultime des Ecritures, parce qu’Il en crée Lui-même le sens en les accomplissant.
     La Tradition se nourrit alors de la fidélité de l’Eglise à vivre le Mystère Pascal du Christ, offert et livré par Amour pour les hommes.

     La théologie se fortifie, s’affermit et se rajeunit sans cesse au contact de l’Ecriture, qui est alors comme son âme (DV 24). 



           Thèse 2 – Le Magistère  



   
  Comment l’enseignement du Magistère de l’Eglise s’articule-t-il avec le « Dépôt sacré » de la Foi : l’Ecriture et la Tradition ? Le Magistère seul interprète authentiquement (i.e. avec l’autorité du Christ) la Parole de Dieu, c'est-à-dire ce Dépôt sacré. Cependant, il n’est pas au-dessus de la Parole de Dieu, mais à son service. Il écoute, garde puis expose cette Parole de Dieu (DV 10). C’est Dieu Lui-même qui a voulu la médiation du Magistère pour se révéler modo humano à l’humanité (et non modo divino) : c’est en effet le seul mode de Révélation qui respecte la foi comme libre adhésion.

      L’Esprit Saint confirme alors dans le cœur des fidèles la Révélation reçue du Magistère. Cette attestation ‘suave’ de l’Esprit – qui n’offusque en rien la liberté des croyants – s’appelle le Sensus Fidei : indéfectibilité du Peuple de Dieu dans la vraie foi (LG 12 : « l’ensemble des fidèles, qui ont l’onction qui vient du Saint (1 Jn 2,20), ne peut se tromper dans la foi »). Il est une capacité donné au croyant par l’Esprit de percevoir intérieurement la vérité de la foi, et de discerner ce qui lui serait contraire (DV 8 : « intelligence intérieure des choses spirituelles »). Il est formé par l’Esprit Saint dans le cœur des fidèles par la prédication magistérielle (1), et par une action interne et immédiate dans ces cœurs (2). Il confère dès lors une perspicacité intuitive au fidèle. Il est guidé par le Magistère qui le confirme, l’alimente, le fait fructifier, le démontre… mais qui doit l’écouter également pour appuyer ses affirmations.

      Quels sont les différents exercices du Magistère du Pape et des Evêques ? On peut principalement en discerner 3 formes :
          -  le Magistère définitif (infaillible, extraordinaire, solennel), qui appelle la Fidei Obsequio (Concile, Ex-catedra…)
          - le Magistère universel Ordinaire (définitif ou pas), qui appelle la Religiosum voluntatis et intellectus obsequium (Encycliques, Exhortations…)
          -  le Magistère non-définitif, qui appelle le Religioso animi obsequio.

      Quels sont les rapports qu’entretiennent la théologie et le Magistère ? Ils partagent d’abord nombres d’éléments communs : une même origine - la Parole de Dieu - et une même fin, pastorale et missionnaire. Cependant, ils ont des fonctions diverses (au Magistère revient la proclamation authentique du message chrétien, une responsabilité doctrinale), une autorité diverse (fondée d’abord sur un charisme (sacrement de l’Ordre) et une fonction juridique pour le Magistère / fondée sur une compétence intellectuelle pour le théologien). 

 

 

Thèse 3 – Foi et Raison  



      Qu’est-ce que la Foi ?
La Parole de Dieu dès l’Ancien Testament la rapporte à une adhésion, une solidité donnée par Dieu dans l’Alliance. Dans le Nouveau Testament, elle s’enrichit d’un caractère doctrinal (elle est adhésion au kérygme), mais sans renier l’aspect existentiel d’un abandon total de sa vie et de tout son être à Dieu, dans le Christ. L’on retrouve ces aspects dans le Magistère. Ainsi, Dei Filius définit la foi comme « pleine soumission de l’intelligence et de la volonté », et Dei Verbum comme le fait de s’en remettre « tout entier librement à Dieu ». C’est Dieu qui garde cependant toujours l’initiative : la foi est une vertu surnaturelle (DF), une grâce prévenante et adjuvante (DV).

     La foi est donc orientation de tout notre être à Dieu, notamment l’intelligence et la volonté. Concernant l’intelligence, quel est dès lors le rôle de la raison dans l’accueil de cette grâce qu’est la Foi ? « La raison humaine, illuminée par la foi, peut parvenir à une certaine intelligence des mystères, par l’analogie avec les choses qu’elle connaît naturellement, ou par le lien qui unit les mystères entre eux » (DF). Le principe d’analogie entre le Créateur et la création - s’il respecte toujours au sein de la ressemblance entre les analogués le fait que demeure une plus grande dissemblance encore (Latran IV) - se fonde ultimement sur l’analogie de l’être, qui fait de notre monde la grammaire où Dieu peut exprimer son Verbe, se communiquer lui-même et rejoindre l’homme.

      Le rapport foi-raison se retrouve dans le rapport théologie–philosophie. La théologie comme fides quaerens intellectum (la foi en quête d’une rationalité) instaure entre théologie et philosophie un rapport d’interaction (FR VI). L’apport philosophique (notamment dans la théologie fondamentale) ne saurait cependant pas être premier dans l’acte de foi, dont il forcerait alors la libre adhésion. La théologie fondamentale ne peut éclairer qu’a posteriori (c'est-à-dire une fois l’acte de foi déjà posé) la rationalité des vérités révélées. La crédibilité qu’offre la raison à la foi demeure a posteriori, et la raison, guidée par la stella rectrix de la foi, s’en trouve portée au-delà d’elle-même. Telle est la circularité subtile qui lie théologie et philosophie.

 

  

 Thèse 4 - Qu'est-ce qu'un dogme ?   



     
Qu’est-ce qu’un dogme ? du grec dokein (paraître, sembler vrai), le terme désigne une opinion avertie, une doctrine. Il prend une connotation juridique dans le Nouveau Testament (décrets…). Thomas d’Aquin le définit comme une fragmentation de la Vérité unique, fragmentation nécessaire à l’intellect humain pour saisir le Mystère de Dieu. La CTI (1990) le définit comme une doctrine dans laquelle l’Eglise propose de façon définitive une vérité révélée. Il est donc la vérité éternelle de Dieu qui se révèle, mais exprimée dans le langage temporel des hommes. Le dogme traduit par là cette capacité du langage humain à dire Dieu, à exprimer son Mystère transcendant. Cependant l’expression dogmatique purifie le langage pour le rendre apte à cette fonction transcendante.
     Le problème est que le langage continue également sa vie propre (d’où un conditionnement historique des expressions dogmatiques), et donc le dogme appelle un travail d’interprétation, d’herméneutique, au fil des siècles…

     En quoi consiste le conditionnement historique des dogmes ? Le langage évolue. De même la connaissance humaine. De même le contexte culturel, théologique (hérésies…), philosophique… Le dogme est donc soumis à cette triple historicité.
     Par ailleurs, Dieu ne se laisse pas enserrer dans une formule, si parfaite soit-elle. « Si comprehendis, non est Deus » disait Augustin.
     Cependant, ce qui est énoncé de Dieu peut quand même être vrai, exempt d’erreur, même si c’est bien évidemment incomplet.

      En quoi consiste alors le « progrès » du dogme ? Il ne correspond pas à une augmentation (quantitative) de la foi : le développement des dogmes n’est pas « une augmentation de la connaissance intellectuelle ». Il n’est pas le fruit d’une déduction logique : pas de développement selon un mode hypothético-déductif, comme pour un système. La foi que nous professons est substantiellement celle des apôtres.
      Mais les dogmes sont obtenus par abstraction à partir du Mystère révélé, fractionné (en dogmes) pour être appréhendable par l’intelligence humaine. Le développement du dogme consiste bien en effet à fractionner à l’usage de l’intelligence un tout déjà complet en lui-même (le Dépôt révélé), si bien que la foi n’augmente pas, l’explicite étant déjà contenu dans l’implicite. Ce progrès de l’expression dogmatique est celui d’une explicitation de ce qui est déjà implicitement contenu dans la Révélation originelle.
      Historiquement, telle époque ou culture voit naitre telle ou telle problématique ou opinion (ex : le relativisme), qui appellent alors une nouvelle explicitation du message de l’Evangile. Le dogme vient répondre à ces situations très concrètes, historiques, sociales, ecclésiales, culturelles, philosophiques… hérésies parfois qui menacent d’une façon ou d’une autre l’intégrité du Mystère Révélé. Il répond en fragmentant pour l’intelligence cette totalité du Mystère, en extrayant une réponse particulière – une explicitation - adaptée à la problématique contextuelle. Le dogme est donc comme une réponse à une menace d’hérésie, qui enfermerait le Mystère Révélé. Loin de le clore ou de le figer dans une formule, il garde donc ouverte la plénitude du Mystère révélé. C’est l’hérésie au contraire, qui voudrait toujours réduire le Mystère Révélé à la dimension de notre compréhension, et qui dès lors, le clot, l’enferme, le dénature, le limite dans l’impasse de notre appréhension intellectuelle, et lui ferme tout horizon transcendant.

      La force motrice de ce progrès est l’Esprit Saint, qui nous introduit dans la vérité toute entière (Jn 16,13), tel qu’il parle à travers le Magistère de l’Eglise, appuyé sur le sensus fidei.

      Le dogme appelle donc une interprétation, une herméneutique. Selon quels principes ? Cette herméneutique doit respecter une triple fidélité
             - vis-à-vis du passé : le dogme est anamnèse, verbum rememorativum
             - vis-à-vis du présent : le dogme est vivant, actuel, et doit parler à l’homme d’aujourd’hui, verbum demonstrativum
             - vis-à-vis du futur : le dogme témoigne de la réalité eschatologique, verbum prognosticum

 

 

Thèse 5 - La question de Dieu

 

(

a) La question de Dieu dans la tradition théologique : origine de la théologie. La polémique anti-gnostique. La voie apophatique du platonisme chrétien. L’aristotélisme chrétien dans la théologie scolastique. Fidéisme et rationalisme à l’époque moderne.

 


b) Quelques aspects du débat actuel
: de la théologie libérale à la théologie dialectique. Révélation et histoire dans la “Nouvelle théologie”. La méthode de corrélation et la méthode transcendantale. Les théologies de la modernité et de la mort de Dieu. Les théologies de la praxis et de la libération.

 


c) Logique de l’affirmation de Dieu : présupposés et hypothèses préliminaires. Axiomatique. Règles linguistiques du langage chrétien sur Dieu. Théorèmes théologiques et corollaires religieux.

 


d) Fondement biblique du premier article de foi : l’hénothéisme archaïque et le monothéisme prophétique. La théologie sapientiale et apocalyptique. Le message de Jésus et la foi de la communauté. Aspects dominants du théisme biblique. Transcendance et histoire. Identité et réalité de Dieu. Comportement salvifique de Dieu.

 


e) La foi en Dieu dans l’Église catholique
: le premier article de la foi dans les symboles et les conciles. La doctrine de Dieu dans la perspective de Vatican I et II.

 

  

Thèse 6 - Théologie Trinitaire



      Le Mystère de la Trinité,
Mystère central de la Foi, source et lumière de tous les autres mystères, se résume dans l’enseignement johannique : "Dieu est Amour". Par essence, Dieu est Don de Soi, Autocommunication, Relation, éternel évènement d’Amour. Ce Mystère est directement celui de notre insertion même dans le mystère du Christ, et par Lui en Dieu. Le Mystère de la Trinité ouvre intrinsèquement sur le mystère de notre Salut.

     C’est le Nouveau Testament qui révèle pleinement le dessein salvifique de Dieu le Père, par Jésus son Fils, dans l’Esprit Saint. Le Père envoie son Fils qui, glorifié, envoie l’Esprit afin de nous conférer l’adoption filiale que le Fils nous a obtenu par l’obéissance jusqu’à la Croix. Le Fils ne se contente donc pas de nous révéler la Paternité de Dieu : en Lui, il nous fait participer de sa filialité. Pour accomplir sa mission, le Fils est oint par l’Esprit. Revêtue de la Puissance de l’Esprit, il annonce le Règne des Cieux et en accomplit les signes. Et cela, jusqu’au signe absolu de la Croix. Glorifié, Il souffle ce même Esprit sur les apôtres et – communicant l’adoption filiale - fonde l’Eglise. L’Esprit sanctificateur procède donc du Père et du Fils comme d’un seul principe, principalement du Père, par le Fils. Au nom du Père, du Fils et du SE, nous sommes baptisés et sauvés, selon la volonté de Jésus, le Christ Sauveur.

     L’enseignement conciliaire puis théologique éclaire alors dès les premiers siècles la formulation de sa foi en Un seul Dieu en Trois Personnes. Nous vénérons ainsi un seul Dieu dans la Trinité et la Trinité dans l’unité, sans confondre les personnes, sans diviser la substance. L’unité divine tient du fait que les noms des 3 personnes ou hypostases expriment des relations : l’opposition de relation en Dieu est le seul principe de distinction trinitaire ; Si bien que cette Trinité qui est un seul Dieu n’est pas hors du nombre, n’est pas non plus enfermée dans le nombre. Ces 3 relations en Dieu sont substantielles. Les Personnes enfin ne sont pas commutables, l’ordre (taxis) trinitaire étant donné par les relations d’origine : procession du Fils par le Père, spiration de l’ES par le Père et le Fils.

     Cette pénétration du Mystère de Dieu est rendu possible par le fait que Dieu est en soi tel qu’Il s’est révélé à nous. La Trinité qui s’est manifestée dans l’économie du Salut est la Trinité immanente. La Trinité économique correspond à la Trinité immanente, qu’elle révèle donc.

     La réflexion théologique n’a dès lors de cesse de creuser le mystère des relations entre les 3 Personnes qui sont un seul Dieu, cherchant analogie dans le monde créé. Père, Fils et Esprit sont liés comme la source, le fleuve et le lac (Tertullien) ; comme en notre esprit la mémoire, l’intelligence et la volonté (Augustin) ; comme l’aimant, l’aimé et le condilectus aimé ensemble (Richard de St Victor) ; comme les conjoints et l’enfant (Balthasar). Ces analogies ne sont pas sans cacher cependant au cœur de la ressemblance qu’elles offrent une majeure dissemblance (Latran IV), et ne sauraient en rien être absolutisées. Le coquillage de notre compréhension ne saurait contenir l’océan du Mystère de la Trinité.

 

Thèse 7 - Christologie et Sotériologie




      « Pour vous, qui suis-je ? » interroge Jésus (Mc 8). La foule le rapporte alors à un prophète passé (JB, Elie...), et Pierre à l’attente d’Israël : « Tu es le Messie ». Mais cette appellation même ne saurait enfermer le Mystère, et Jésus ne la retiendra pas (trop politique), pas plus que celle de Fils de Dieu (trop commune). Il est le « Fils de l’homme » : expression de Daniel et d’Ezéchiel , signifiant sa divinité et son humanité. Sa personne se donne à saisir aussi par sa Mission : Annoncer le Règne. Un Règne qu’Il inaugure mais qui n’a rien de politique : il correspond au Shalom de l’AT, pour les petits (les anawim), chers au Père. Ce Règne est en fait le « parfait accomplissement de la volonté du Père », et cette volonté est Communio des hommes entre eux et avec Dieu. Nouvelle Alliance, définitive, où le Père devient proche, intime, familier, « Abba ». La Personne du Fils se définit alors toute entière par sa Mission (comme elle se définit par sa Procession en Dieu Trine). Il comprend alors que ce monde de ténèbres n’accueillera pas sa Lumière, et que sa Mission (annoncer le Règne, l'Amour du Père) passe par sa mort. Et il l’accepte pleinement : ainsi, nous sommes pleinement responsables de sa mort, et pourtant sa vie, nul ne la prend, mais c’est lui qui la donne. Ressuscitant, il témoigne que et son âme et son corps, séparés par la mort, ont continués l’une et l’autre d’être assumés par la Personne du Verbe, qui les réunit le 3° jour. Il témoigne donc qu’il est Vrai Dieu.

     La réflexion des premiers siècles traduit alors le mystère dans le langage conceptuel de la philosophie, à travers les grands Conciles christologiques. Nicée (325) souligne contre Arius que le Christ est Vrai Dieu, de la substance du Père. Constantinople (381) précise qu’il est Vrai homme, assumant une humanité complète (contre Apollinaire). Se pose alors la question de l’unité de ces deux natures : Ephèse (431) souligne qu’elles ne sauraient être séparées (contre Nestorius), et Chalcédoine (451) qu’elles ne sauraient être confondues (contre Eutychès). Elles sont donc unies « selon la personne » (Cyrille d’Alexandrie), unies « sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation » (Chalcédoine). Ainsi, contre ces hérésies réduisant le Mystère à l’échelle de notre compréhension, les Pères de ces Conciles usent de l’outil conceptuel dont ils disposent pour garder intact et entier le Mystère, dans sa plénitude. Vrai Dieu né du Vrai Dieu, Il est le Verbe éternel et éternellement engendré du Père, qui a assumé en toute chose excepté le péché la nature humaine complète, nature créée en Lui, à son Image. Par là, il rend cette nature capable de Dieu. C’est ainsi, et ainsi seulement que nous sommes sauvés, que nous devenons par Lui fils adoptifs du Père, dans l’unité du Saint Esprit. Cette adoption amoureuse du Père, ce « Règne qui vient », le Christ l’a obtenu pour tout homme sans exception d’une manière totale et définitive, par l’Amour qu’il manifeste au Père et à l’humanité sur la Croix.

     Sa Rédemption sera à travers l’Histoire appréhendée et contemplée de diverses façons : Agneau vainqueur qui ôte le péché du monde, Il traverse sa Passion victorieusement, nous libérant du péché et de la mort. Agneau immolé, il est le Serviteur souffrant qui rembourse au Père la dette incommensurable de notre péché, et rétablie (satisfactio, reparatio) dans sa chair l’équilibre perdu (Anselme, Thomas). Grand Prêtre d’une Alliance Nouvelle et Eternelle, il re-présente Dieu dans les éloignements les plus profonds que cause le péché, se « faisant péché », se substituant au pécheur, habitant toute ténèbre afin qu’elle ne soit plus ténèbre devant Dieu (Balthasar). Enfin, bon Pasteur, Il sauve par l’Amour qu’il manifeste d’une façon ultime et définitive sur la Croix, cet Amour qui guérit, libère et transforme.

     La réflexion contemporaine propose alors à une réflexion plus ouverte sur les questions modernes de christologie, les éclairant d’une nouvelle compréhension de la Personne du Verbe. Qu’est-ce qu’une Personne ? Le terme est trinitaire avant tout, signifiant ce qui en Dieu est Trois. Mais précisément, en Dieu, les noms de Personnes sont des noms de relations (Augustin, Tolède XI…). Une personne serait donc un nœud de relations, une unité de relations, une relationalité. Dans le Christ, l’unité des deux natures « selon la Personne » y trouve donc une dynamique : sa Personne est mouvement des natures divines et humaines l’une vers l’autre. Le Verbe se livre pleinement dans la nature humaine qu’Il assume (et ainsi sauve), et la Personne de Jésus Christ est toute entière tournée vers le Père, dans l’Obéissance. La formule de Chalcédoine y trouve alors une dynamique, et les grandes questions christologiques peuvent être revisitées.
     La science du Christ n’est plus juxtaposition impénétrable d’une connaissance divine (visio beata) et d’une connaissance humaine (expérimentale, acquise), mais connaissance reçue du Père, et qui est cette concentration amoureuse du Fils sur sa Mission, dans laquelle il se donne tout entier, mettant à part son omniscience, comme l’Aimant oublie tout sauf l’Aimée.
     Sa liberté et son impeccabilité s’expliquent par une recompréhension chrétienne de la Liberté, qui au delà du simple libre arbitre, est capacité pleine à faire le Bien.

     Créés en Lui, à son Image, nous traversons victorieusement la vallée de larmes de ce monde avec dans nos cœurs la certitude et le bonheur de savoir que sa Victoire est déjà acquise, et que le Règne est déjà commencé. « Oui, nous en avons l'assurance, ni la mort ni la vie, ni les anges ni les principautés, ni le présent ni l’avenir, ni les puissances, ni la hauteur ni la profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur» (Rm 8,38).

 

E c c l é s i o l o g i e
 


          
Thèse 8 – L’Eglise « sacrement universel du Salut » et son

analogie avec le mystère du Christ





     A une ecclésiologie comme communion des Eglises locales, autours des évêques (1er millénaire) succède peu à peu une ecclésiologie juridique de l’unité de l’Eglise universelle, autours du Pape (2nd millénaire). Vatican II (Lumen Gentium) se veut alors une synthèse, prônant une ecclésiologie sacramentelle de communion, « communion hiérarchique » parce que graduelle et progressive (sacerdoce commun ou ministériel ; collégialité épiscopale ; etc…).

    Cette communion s’étend par ailleurs au-delà des frontières de l’Eglise visible (institutionnelle), si bien que l’Eglise est « sacrement universel du salut » (LG 48). Comme quasi-sacrement (veluti sacramentum, dans LG 1), elle est
          (1) société ecclésiale, organisée hiérarchiquement (/ sacramentum tantum) ;
          (2) communauté des croyants dans le Christ (/ res et sacramentum) ;
          (3) mais enfin et surtout filiation divine et fraternité dans le Christ (/ res tantum).
             Bref une « unique réalité complexe » (LG 8), qui déborde largement les frontières de l’Eglise institutionnelle. Si bien que l’on peut et doit tenir la nécessité absolue de l’Eglise (totale, et pas seulement institutionnelle) pour le salut. L’Eglise visible (institutionnelle) demeure la « voie ordinaire du salut » (UR 3), instituée directement par Jésus son Chef (Baptême, Eucharistie, Pierre, Apôtres, etc…), et dotée par Dieu de la « plénitude des moyens du salut » (UR 3). Si son refus volontaire et conscient prive du salut, une appartenance extérieure ne suffit cependant pas : une appartenance de cœur est nécessaire (LG 14).

     Concernant ceux qui ne connaissent pas pleinement le Mystère de l’Eglise, ni même parfois celui du Christ, Dieu veut tout autant qu’ils soient sauvés (1 Tim 2,4-6), et ne saurait être lié pour cela par les moyens qu’Il a Lui-même institué. S’ils sont sauvés, ils le sont néanmoins par le Christ, « unique médiateur entre Dieu et les hommes » (1 Tim 2,4-6), et même par un lien mystérieux et subordonné à l’Eglise (RM 10 ; DI 20), qui est le Corps mystique du Christ.

     C’est ainsi, et ainsi seulement, que le Salut vient du Christ, et que nul ne peut être sauvé en dehors de Lui. Ce christocentrisme inclusiviste apparaît donc comme la position du Magistère, contre toutes les autres propositions, qui sont intenables : ecclésiocentrisme exclusiviste, théocentrisme, pneumatocentrisme, régnocentrisme, logocentrisme, etc…

     Le Mystère de l’Eglise se rapporte en effet directement au Mystère du Verbe incarné (LG 8). Unie à son Mystère Pascal qu’elle proclame et dont elle témoigne à travers les persécutions du monde et les consolations de Dieu, elle peut alors communiquer aux hommes les fruits du salut, non sans un effort constant de pénitence et de renouvellement.

     Corps du Christ, l’Eglise est Temple de l’Esprit, qui l’unifie, l’accroit et la sanctifie. L’Esprit est en effet pour ce corps comme son âme (Léon XIII), principe d’unité, de communion, de catholicité, d’apostolicité et de sainteté. L’Eucharistie – par laquelle l’Epoux se rend présent à l’épouse – demeure le moyen central par lequel l’Esprit Saint « fait l’Eglise » (Y. Congar). 

 

Thèse 9 – L’Eglise comme 'Communio', et son engagement

œcuménique
  




      L’Eglise est unie par des liens de « communion interne » (LG 13; 23), unissant autours du pontife romain – principe perpétuel et visible et fondement de cette unité – les églises particulières. Les évêques sont à leur tour principe et fondement de l’unité dans leur église particulière. En ces dernières et à partir d’elles existe l’Eglise catholique une et unique. Les Eglises particulières en sont donc les portions (UR 3).
     Cette Communion (koïnonia) est directement fondée sur la communion trinitaire : « qu’ils soient uns comme nous sommes un » (Jn 17), et vécue dès les temps apostoliques. L’Esprit Saint est le principe de cette unité de l’Eglise locale et universelle. L’Eucharistie est le lieu d’incarnation concret de cette Communio, le lieu aussi où celle-ci se conscientise (ou non : je ne peux concélébrer avec des Eglises séparées).

     L’Eglise du Christ « subsiste » dans l’Eglise catholique (LG 8). Ce subsistit in signifie ‘se trouve et demeure’ : l’Eglise possède tous les éléments essentiels que Dieu a disposé pour que se construise et soit vivifiée l’Eglise du Christ (se trouve), et c’est cette même Eglise qui fut fondée par Jésus et confiée à Pierre (demeure).

     Concernant les Eglises séparées, s’y trouvent de nombreux éléments de sanctifications et de grande valeur : la Sainte Ecriture, le zèle religieux parfois jusqu’au martyre, la prière, certains sacrements, l’épiscopat, l’amour pour la Vierge Marie, etc… Si bien qu’elles sont également des moyens de salut mais dont la force dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confié à l’Eglise catholique (UR 3). Ceci concerne aussi les communautés séparées (protestantes), dans une communion plus imparfaite.

     Fort de cette ecclésiologie de communion, l’engagement œcuménique trouve une profondeur et une actualité nouvelle, certain que l’unité (qui ne doit pas être uniformité) est voulue par Jésus. Si bien que la communion, quoiqu’encore imparfaite, est néanmoins réelle.

  

Thèse 10 – Les Sacrements en général.

                                          Baptême et Confirmation

  

     Dans l’Ancien Testament, les prophètes posent au nom de Dieu des actes publics, provocants, symboliques appelant le peuple à la conversion, et ravivant l’Alliance.

     Le Christ pose de tels signes durant sa vie terrestre, n’annonçant cependant pas tant un jugement qu’un salut, une libération. Mais c’est cependant sa Croix et son Mystère Pascal qui demeurent le signe absolu : scandale absolu et efficacité totale. Il est l’action intramondaine par laquelle Dieu s’engage irréversiblement dans l’œuvre de salut.
     L’ensemble de ces signes prophétiques, Jésus les pose dans la puissance de l’Esprit. C’est par l’ES que l’Eglise peut alors actualiser le Mystère Pascal du Christ. Si bien que les sacrements constituent toujours de nouveau l’Eglise comme une communauté de salut eschatologique, qui fait mémoire du mystère pascal du Christ (anamnèse), participe de son être et de sa mission (aspect démonstratif), anticipe sa venue dans la gloire (aspect eschatologique). Le Christ envoie l’Esprit qui par les sacrements fait l’Eglise. L’Eglise se sanctifie donc en s’appropriant les mystères vécus par le Christ, et elle le peut par l’Esprit (épiclèse) qui les actualise dans la liturgie. Ce qui nous amène à une dernière définition du sacrement : le sacrement est un évènement symbolique, prophétique et moral, accompli dans l’Assemblée chrétienne pour ritualiser le salut définitif du monde, initié par le Père, complété par le Fils, et étendu dans l’Esprit.
     Tout sacrement a donc une fonction ontologique (participation à l’être et à la mission du Verbe), une fonction existentielle (fraternité avec le Christ et avec les siens), une fonction pratico-sociale (valeur éthique du sacrement), et une fonction eschatologique (ils anticipent le Règne qu’ils annoncent).

      Le Baptême me remet mes péchés, notamment le péché originel, et me délivre de ses conséquences dont la plus grave est la séparation de Dieu et la mort spirituelle (certaines conséquences temporelles demeurent cependant : la concupiscence). Mais il fait surtout de moi une créature nouvelle dans le Christ : fils adoptif du Père, participant de la nature divine, membre du Christ, temple de l’Esprit. Il m’incorpore à l’Eglise corps mystique du Christ, et cette appartenance se marque en moi par le sceau indélébile de l’Esprit. Je peux dès lors pratiquer la justice du Christ, et inaugurer avec lui dès ici bas la vie éternelle.

     Si le Baptême nous confère l’être chrétien, le deuxième sacrement de l’initiation chrétienne, la Confirmation nous confère l’agir chrétien. Onction en vue d’une mission, comme dans l’Ancienne Alliance, elle ouvre par là à l’universalité et donne de bâtir l’Eglise (évangélisation…). La Confirmation est donc comme une pentecôte personnelle du baptisé ressuscité dans le Christ, lui confèrent (caractère) un lien plus étroit avec la vie de l’Eglise, et une implication plus intense dans le témoignage d’espérance qu’elle porte.  

 

 

Thèse 11 – L’Eucharistie

 




      « Par l’action de l’ES dans l’anamnèse et l’Epiclèse… »

     La thèse offre une triple vision : ecclésiologique, liturgique et trinitaire.

     > ecclésiologique : nous ne devons pas séparer le traité sur les sacrements de celui sur l’ecclésiologie. L’Eglise, la Communauté doit transmettre visiblement et tangiblement dans l’histoire le salut, spécialement par la Parole, mais pas seulement. Egalement par les sacrements, ancrés dans les gestes prophétiques posés par Jésus même. Ces gestes, il les a posés pour que l’Eglise communique son salut (il aurait pu en poser d’autre, ou faire autrement). Ces gestes font l’Eglise : nous défendons ici une ecclésiologie dynamique : l’Eglise se construit peu à peu à chaque fois qu’elle célèbre un sacrement (Baptême, Conf°, Ordination, Eucharistie…), et devient elle-même. Dans l’Eucharistie, le Christ même se rend présent, et s’unit aux croyants.

     > liturgique : les mentions pneumatologiques à l’anamnèse et à l’épiclèse souligne le caractère collectif du sacrement :
             1. anamnèse : nous nous rappelons de ce que le Christ a fait (dans son M P mais aussi toute sa vie…) particulièrement pour les pauvres, les petits…
             2. épiclèse : le mystère passé devient actuel, car le Christ se rend présent…
     > trinitaire : les 3 personnes sont présentes dans l’Eucharistie. C’est la venue de l’ES qui transforme le pain et le vin. La prière est toujours orientée vers le Père (« Père, envoie ton Esprit… »). Enfin, le Christ est présent non seulement dans le pain et le vin, mais aussi dans sa donation totale au Père.

 

     « … le Christ par son offrande unique au Père se rend présent et s’unit aux siens dans les éléments transsubstantiés de son corps et de son sang glorieux… »

     Comment le Christ se rend-il présent au monde ? à travers la transsubstantiation du pain et du vin, qui sont des réalités de notre vie quotidienne, et que nous pouvons manger, assimiler. Ils sont son corps et sang glorieux, et cet accent sur la gloire nuance l’accent longtemps mis sur la Croix, et le sacrifice. Ce fut toujours le Christ glorieux qui fut célébré eucharistiquement (puisque l’Eucharistie fut célébrée après la Résurrection).

 

     « ...il partage avec eux un banquet de communion fraternelle... »

     L’Eucharistie, banquet commun autours du Christ, crée une communion fraternelle. La Res tantum est l’unité de l’Eglise.

 

     « …stimule à l’amour social pour les plus pauvres… »

     Le Christ est souvent au contact des foules affamées. Ce point est très important : si le Christ s’offre à nous, c’est pour que nous aussi, nous puissions nous offrir aux plus nécessiteux. De l’Eucharistie nait la Diaconie. Ce fut toujours le cas dans l’Eglise, depuis le début. Ainsi les ch. 11 à 13 de la 1 Co soulignent ce lien entre l’Eucharistie, le Service des pauvres, la Charité. La pauvreté à laquelle est lié le banquet eucharistique est également celle du péché : le Christ s’assied à la table des pécheurs.

 

     « …et leur offre un avant-gout du banquet céleste. »

     Les Pères parlent de l’Eucharistie comme « hors d’œuvre, avant gout … » du banquet messianique. Lc 22,28-30 : « "Vous êtes, vous, ceux qui êtes demeurés constamment avec moi dans mes épreuves; et moi je dispose pour vous du Royaume, comme mon Père en a disposé pour moi: vous mangerez et boirez à ma table en mon Royaume, et vous siégerez sur des trônes pour juger les douze tribus d'Israël».
     Thomas d’Aquin rappelle ces 3 aspects de chaque sacrement : un aspect commémoratif (faisant mémoire de la Passion du Christ, qu’elle rend présente) ; un aspect démonstratif (mangeant son corps et buvant son sang, nous recevons la Vie en nous, et la mission de Jésus) ; un aspect eschatologique (chaque sct donne un gage de la Gloire à venir, l’anticipe).

 

  

Thèse 12 – La Pénitence et l’Onction des malades


Pénitence et Onction des malades sont en rapport avec le mal de l’homme, moral (péché) et physique. La fécondité de cette thèse qui les rapproche vient de l’émulation entre péché et souffrance physique, d’abord liées bibliquement (punition physique du pécheur), puis indépendant (scandale de la souffrance du juste), finalement liées de nouveau dans une perspective de salut (rédemption du péché par la souffrance du juste). Jésus lui même associe guérison et pardon dans son ministère, et la souffrance de sa Passion nous rachète de nos péchés et de la mort éternelle. 

Dans l’Ancien Testament, le péché est d’abord cultuel, puis moral (l’idolâtrie – rupture de l’Alliance). Il est collectif et suppose une purification cultuelle collective (Yom Kippour, sacrifices…). Se posent alors deux  problèmes : le risque d’une ritualisation hypocrite, et le scandale de la souffrance du juste.

     Le Nouveau Testament offre en Jésus un message radicalement nouveau : le pécheur – pour qui vient Jésus – est pardonné gratuitement, et alors peut se convertir. C’est la solution au premier problème précédent. La solution au second est celle de la souffrance rédemptrice de la Passion.

     Dans l’Eglise primitive se met en place la Pénitence, d’abord publique et unique (lapsi), puis peu à peu réitérable et privée (auriculaire).

     Concernant la souffrance et l’onction des malades, nous passons de même dans l’AT d’une rétribution collective à individuelle, puis au scandale du juste souffrant. Jésus dissocie la souffrance du péché mais lie pardon et guérison. Ce que fera l’Eglise primitive, jusqu’à aujourd’hui, refusant de séparer guérison morale et physique, l’homme étant un. 

 

Thèse 13 – L’Ordre et le mariage


      L’Alliance Ancienne puis Nouvelle montre que Dieu choisit pour étendre cette Alliance à son peuple puis à l’humanité toute entière de passer par des hommes (patriarches, prophètes, prêtres, anciens, puis disciples, apôtres autours de Jésus, puis presbytres, épiscopes, diacres dans l’Eglise primitive). Ces pasteurs sont désignés (élus) en vue d’une mission, en vue du peuple, du troupeau. La hiérarchie évêques – prêtres – diacres se met clairement en place à partir du II° siècle, cependant dès l’époque apostolique, l’Eucharistie est présidée.

     Dans le sacrement de l’Ordre, à travers l’imposition des mains et l’invocation de l’Esprit Saint, les évêques et prêtres sont ordonnés au sacerdoce hiérarchique, et les diacres aux ministères sacrés, afin que, pour servir le sacerdoce commun, ils soient configurés au Christ, Chef de l’Eglise. Ils exercent alors un triple office - prophétique, cultuel et pastoral – liés à leurs 3 fonctions d’enseignement, de sanctification et de gouvernement (ordo).

      Vatican II rappelle le sacerdoce baptismal de tout chrétien, substantiellement différent du sacerdoce ministériel. Ce dernier, ordonné au sacerdoce baptismal, réalise (caractère) une configuration particulière et plus intérieure au Christ Roi, Prophète et Prêtre.


      Le Mystère de l’Alliance entre Dieu et l’humanité se manifeste de façon plus commune mais non moins profonde par le sacrement du Mariage, Alliance entre l’homme et la femme qui rend visible, manifeste, et repose sur cette Alliance entre Dieu et l’humanité. Tel est le « Grand Mystère » (Eph. 5) qui unifie tout amour en le fondant en Dieu, qui est Amour. Le Verbe fait chair, le Christ est uni selon le même rapport à l’Eglise, Nouvel Adam faisant avec elle « une seule chair » (Gn 3) : il est son Chef, mais en se sacrifiant pour elle. Le mariage dès lors ne saurait être dissoluble, on le comprend (Mt 19), pas plus que Dieu ne pourrait renier son Alliance. Indissolubilité et fidélité découlent du caractère sacramentel du mariage. L’amour qui unit les époux est porté en cela par la Personne de l’Esprit Saint, Esprit d’Amour qui habite en eux de par leur Baptême.

     Comme pour l’Ordre, l’élection du mariage - Visibilité de l’Alliance divine - est en vue d’une mission : la fécondité de la famille. Fécondité humaine (procréation), mais aussi spirituelle, ecclésiale, universelle.

 

 


       
Thèse 14 – Anthropologie               
       « Le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné » (GS 22) : cherchant le sens de sa propre existence, le croyant se découvre « appelé » à se situer dans le monde, et à comprendre ce milieu vital à la lumière de sa foi.

      Si la création même invite l’homme à s’approprier la relation avec l’autre et avec Dieu, son Créateur, l’idée biblique de l’homme à l’image et à la ressemblance de Dieu trouve son expression parfaite et complète dans le Christ (Cf. Irénée). (Imago Dei – Imago Verbi – Imago Christi).

      Distinguant entre l’âme et le corps, l’homme se sait une « personne » – unique et irrépétible – appelée à vivre en rapport de solidarité avec les autres et à dominer la création.

 avec la foi, l’espérance et la charité.

 

     


      Dieu trinitaire habite en nous pour conduire notre vie avec nous, pour que nous soyons aidés par la grâce (créée) qui est une participation christiforme à la vie divine, donnée pour suivre le Christ (gratia elevans) et pour dépasser les faiblesses de la nature déchue (gratia sanans).

     Dans la force de la grâce prévenante et coopérante, l’adulte doit se préparer à recevoir cette participation, surtout - mais pas seulement - avec la foi, ou accueillant cette participation quand il l’a reçu enfant.

     Avec cette participation (gratia), Dieu nous donne par mérite du Christ la rémission des péchés et le renouvellement de l’homme intérieur dans la sanctification et la filialité, avec la foi, l’espérance et la charité.

     Le renouvellement intérieur est fondement et obligation d’une vie de bonnes œuvres, dans laquelle le chrétien cherche à « être parfait comme le Père du ciel est parfait », et de lutter contre la concupiscence, une vie de bonnes œuvres qui mérite la vie éternelle.

     Dieu veut le salut de tout homme mais surtout des fidèles. Pour cela, il veut que tous arrivent à la connaissance de la vérité révélée dans son Fils. Mais il accorde sa grâce à tous ceux qui vivent selon leur conscience, et accueillent dans son salut également ceux qui vivent ainsi, sans le connaître.

 

Thèse 15 – L’homme dans le Christ


      Dieu trinitaire habite en nous pour conduire notre vie avec nous, pour que nous soyons aidés par la grâce (créée) qui est une participation christiforme à la vie divine, donnée pour suivre le Christ (gratia elevans) et pour dépasser les faiblesses de la nature déchue (gratia sanans).

 

     Dans la force de la grâce prévenante et coopérante, l’adulte doit se préparer à recevoir cette participation, surtout - mais pas seulement - avec la foi, ou accueillant cette participation quand il l’a reçu enfant.

 

     Avec cette participation (gratia), Dieu nous donne par mérite du Christ la rémission des péchés et le renouvellement de l’homme intérieur dans la sanctification et la filialité, avec la foi, l’espérance et la charité.

 

     Le renouvellement intérieur est fondement et obligation d’une vie de bonnes œuvres, dans laquelle le chrétien cherche à « être parfait comme le Père du ciel est parfait », et de lutter contre la concupiscence, une vie de bonnes œuvres qui mérite la vie éternelle.

 

     Dieu veut le salut de tout homme mais surtout des fidèles. Pour cela, il veut que tous arrivent à la connaissance de la vérité révélée dans son Fils. Mais il accorde sa grâce à tous ceux qui vivent selon leur conscience, et accueillent dans son salut également ceux qui vivent ainsi, sans le connaître.

 

 Thèse 16 – Eschatologie          

      « Il n’y a que le Christ, qui est tout et en tout » dit l’Epitre aux Colossiens (3,11). Il est l’Alpha et l’Oméga, en qui nous sommes créés, aimés, sauvés et sanctifiés. « Tout est créé par Lui et pour Lui » (Col.) : Il est dès lors la clé d’interprétation de l’eschatologie ; il achève la Révélation en la complétant (DV 4).

     Le Christ est donc l’eschatos. L’évènement du Christ ne comprend en effet pas que son Incarnation et son Mystère Pascal, mais aussi sa venue en gloire, Parousie. Les fins dernières doivent donc être rapportées au Christ – l’eschatos – qui est le Centre du plan de Dieu sur le monde.

    Le Christ est Sauveur : l’eschatologie est donc d’abord discours de salut. Rappelons que Salut et damnation ne sont donc pas deux voies qui se présenteraient également. Le seul chemin du Père est le Christ, et la voie est unique, même si demeure la possibilité de la perdition. Cette voie qu’est le Christ, c’est le Règne – filiation obéissante, confiante, amoureuse au Père – qui est « déjà-là », même s’il n’est « pas encore » pleinement manifesté. Cette manifestation finale de Jésus sera sa Victoire finale, pleinement manifestée dans la Gloire, qui est la Beauté que revêt l’Amour du Père pour nous. Dieu sera alors tout en tous.

     Le Christ est Jugement, qui mettra en plein jour les intentions secrètes des hommes, les mettant devant un choix définitif. Justice et Miséricorde se rencontrent dans le Christus Totus, qui accomplit pleinement la volonté du Père. La Parousie ne nous changera pas, ne nous fera pas devenir autre que nous sommes déjà, mais nous le fera devenir plus pleinement.

    Le Christ est Résurrection. La Résurrection de la chair reste mystérieuse, même si Paul multiplie les indices sur nos corps glorieux : incorruptibilité, gloire, force, corps spirituels. Reste à s’interroger sur ce que signifie le corps : il est notre être-au-monde, par lequel nous rentrons en relation avec ce monde et avec les autres. Ce mode de relation sera dès lors glorifié, rendu lumineux car intégré au Christ, en qui nous sommes créés. Capax Dei, nous verrons Dieu face à face, de façon totale et immédiate. Et cela dès la mort terrestre (pour les sauvés), dans une eschatologie personnelle définitive qui ne sera collective (et donc complète) qu’après la Parousie, le Corps du Christ atteignant alors sa plénitude.

     Le Christ est le Ciel, en ce qu’Il est rejoint (H.U. Balthasar). Le Ciel n’est pas un lieu en effet, mais un état : la pleine incorporation à la Personne du Christ dont nous sommes déjà les membres par l’Eglise. Cette incorporation sera vision de Dieu, dilection de cette vision, ressemblance par cette vision. Le Ciel n’est donc pas un lieu mais une Personne, le Christ. En Lui – c’est-à-dire sauvés - au sein de la Trinité Sainte, nous serons fils dans le Fils, aimés du Père dans l’Esprit. « Ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi » (Jn 17).

     Le Christ est le purgatoire en tant qu’Il nous purifie (H.U. Balthasar). Non pas tant une souffrance préparatoire à la vision de Dieu, mais bien plutôt cette vision déjà donnée, vision cependant encore douloureuse d’éblouissement aux âmes non pleinement habituées à la Lumière divine.

     Le Christ est l’enfer en tant qu’Il n’est pas rejoint (H.U. Balthasar). Telle est l’état de la vie sempiternelle de la résurrection de jugement (Jn 5,29), différent de la vie éternelle qui est participation à la vie divine (2 P 1,3). L’amour ne peut être forcé sans se perdre lui-même, et créés dans le Christ d’une manière définitive, nous pouvons néanmoins refuser cet état d’une manière définitive elle-aussi. L’Eglise ne se prononce pas sur l’existence de personnes dans un tel état, et prie en communion avec les saints du Ciel afin que selon la volonté du Père, « tous les hommes soient sauvés » (1 Tim 2,4).

 

 

 


      

Cours n° 1

 

RACHETÉS PAR LE SANG DE L’AGNEAU

 

(DIVINISATION ET RÉDEMPTION)

 

A.- Position du problème

 

La divinisation qui nous occupe cette année est un thème relativement discret dans le NT.

 

Tout au plus peut-on citer : 2P 1,4 : « rendus participants de la nature divine » ou encore :

 

« quand le Fils de Dieu paraîtra, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel

 

qu’il est » (1Jn 3,2). La raison en est simple : l’Ancien Testament déjà avait dû bagarrer

 

contre toutes les divinisations trop faciles dont bénéficiaient bien des réalités humaines

 

(surtout les détenteurs du pouvoir, cf. Ps 82,6), la tentation suggérée par le serpent à Adam et

 

Eve est bien celle d’« être comme des dieux » (Gn 3,5). Du temps de Jésus et des Apôtres, il

 

existe dans le monde grec des hommes considérés comme dotés de pouvoirs merveilleux et

 

donc comme des êtres « divins » (Apollonios de Tyane par exemple) ; les Empereurs romains

 

de leur côté recevaient un véritable culte, surtout après leur mort, au terme d’une cérémonie

 

dénommée « apothéose ».

 

Malgré cette réserve, le terme de divinisation (déification) est employé par les Pères (surtout

 

les Pères Grecs) pour souligner la profondeur de la transformation apportée dans l’homme par

 

la venue du Christ et le don de l’Esprit. Il s’agit de donner toute sa réalité à la formule

 

constamment répétée depuis saint Irénée : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme

 

devienne dieu ».

 

Néanmoins le contenu visé par cette expression n’est pas différent de ce que nous dénommons

 

habituellement : le salut, le rachat (la rédemption), le don de la grâce. Il n’y a là que des

 

variations d’accent, car, en soi, il n’y a pas de différence entre la cessation de la panne et le

 

passage du courant !

 

La question est devenue à la mode depuis que les néo-orthodoxes installés en France après la

 

révolution russe (ce qu’on appelle souvent l’Ecole de Paris, W. Lossky, S. Evdokimov etc...)

 

en ont fait un cheval de bataille contre la présentation catholique de la Rédemption :

 

l’Occident chrétien, empêtré dans une vision pessimiste héritée de saint Augustin, ne verrait

 

que le côté négatif de l’opération (l’annulation de la dette du péché), sans souligner assez la

 

transformation réelle de l’homme, celui-ci ne reçoit pas seulement une « grâce » qui le

 

qualifierait pour échapper à la colère de Dieu, mais il est profondément transformé par les

 

« énergies divines », il est réellement uni à la vie de Dieu.

 

C’est cet aspect (qui fait authentiquement partie de la tradition de l’Eglise) que nous nous

 

proposons de mettre en valeur cette année. Sans oublier que ce résultat n’est possible que

 

moyennant l’oeuvre du Fils (dans le mystère pascal) et le don de l’Esprit, c’est ce que nous

 

allons traiter dans nos deux premiers cours.

 

B.- La typologie du salut

 

La Sainte Ecriture nous donne de l’acte sauveur du Christ une multiplicité d’aperçus, sans

 

chercher à les synthétiser dans une théorie exhaustive, les Pères ont suivi cette voie et aucun

 

texte magistériel n’est venu donner une formulation dogmatique à la foi, qui est celle de

 

l’Eglise depuis toujours : pour nous et pour notre salut, il s’est fait homme, il a souffert, il est

 

mort, il a été enseveli, il est descendu aux enfers, le troisième jour, il est ressuscité, il est

 

monté au cieux etc... Saint Thomas lui-même reconnaît qu’il a plusieurs manières d’exprimer

 

l’efficacité de la rédemption.

 

Rappelons les principales voies qui s’ouvrent à une compréhension du mystère du salut :

 

·

 

le toucher divin

 

·

 

la lutte contre Satan

 

·

 

le paiement de la dette

 

·

 

l’offrande sacrificielle

 

·

 

et enfin la substitution pénale

 

C.- Effet moral ou effet physique ?

 

1- Aujourd’hui particulièrement, on a du mal à voir l’efficacité de l’offrande de Jésus

 

autrement qu’en termes moraux.

 

Le Christ y apparaît dans le grand exemple d’une humanité affranchie de la violence et de

 

l’égoïsme : devant son attitude exemplaire toutes nos prétentions apparaissent dérisoires, lui

 

seul est « l’homme pour les autres », le frère universel, totalement ouvert, sans rien réserver

 

pour lui, mieux que Gandhi, mieux que saint François d’Assise, il désarme la violence en en

 

prenant sur lui toutes les conséquences. Ou encore : lui seul est l’homme pleinement religieux

 

qui accepte d’innocenter Dieu jusque dans l’extrême de la souffrance de la Croix, lui seul

 

s’incline jusqu’au bout devant la volonté paternelle par amour, sans rien demander...

 

La Passion dans cette perspective apparaît comme une figure, un leçon, elle rend vaines toutes

 

les idoles : Dieu y abdique sa Toute Puissance écrasante pour se faire faible et démuni,

 

« mendiant d’amour ». Ou encore : le jeu de la violence mimétique (René Girard) atteint là

 

son paroxysme, mais révèle par le fait même sa vanité et perd tout son ressort intérieur, seul

 

l’amour est fort.

 

2- Tout cela n’est pas faux, mais ne dépasse le plan de la connaissance, le domaine de la

 

conscience claire, où l’offrande du Christ ne fait que s’ajouter à toutes les leçons données à

 

l’humanité par des maîtres spirituels, des héros, des inspirés, sans pouvoir changer le fond de

 

la situation. Or le mal de l’humanité n’est pas seulement de ne pas savoir, mais de ne pas

 

pouvoir. Le Péché Originel a mis dans les veines de l’humanité une faiblesse congénitale, qui

 

résiste à toutes les bonnes intentions et à toutes les leçons généreuses. Le mal n’est plus

 

seulement dans la liberté mais il a pénétré la nature, d’où la souffrance et la mort qui, à leur

 

tour, aggravent la situation de l’homme et son penchant au mal.

 

La puissance unique de la Rédemption, c’est qu’elle prend le mal à la racine, en renversant

 

une fois pour toutes la logique engagée par le péché d’Adam : là où l’homme dans le Paradis

 

avait préféré les dons de Dieu à Dieu lui-même, l’avoir à l’être, la possession à l’amour, Jésus

 

dans l’extrême de Gethsémani et du Golgotha donne à l’amour de son Père la première place,

 

il accepte de faire confiance au point ultime où tout lui est retiré, pardonne à l’infini toutes les

 

offenses dont il est l’objet. Cette obéissance dénoue le noeud engagé par la désobéissance

 

d’Adam, parce que Jésus, pas plus qu'Adam lui-même, n’est pas un homme parmi les autres,

 

il est le centre caché de cette humanité, le chef en vue du quel nous avions été créés.

 

Désormais le sacrifice accompli sur la Croix n’est pas un programme de vie, une leçon

 

donnée à l’humanité, mais un acte sauveur, un fait inscrit dans la chair de l’humanité, dont

 

l’effet perdure et atteint peu à peu toute l’histoire humaine, aussi bien antérieure (grâce à la

 

descente aux enfers, pour les morts avant le Christ) et postérieure (mission et intercession de

 

l’Eglise).

 

D.- Les étapes de la Rédemption

 

1- Rédemption objective/rédemption subjective

 

Il est évident que le salut ne s’est pas immédiatement répandu sur la terre le jour de la

 

Résurrection de Jésus. Si tout est réalisé en lui, si tout est gagné en lui et qu’il peut être dit

 

déjà le « premier né d’entre les morts », parce qu’il éprouve dans son humanité individuelle

 

les conséquences de son obéissance salvifique, ce n’est pas le cas de l’humanité entière : le

 

péché continue de proliférer, la mort poursuit son règne inchangé fauchant génération après

 

génération tous les fils d’Adam.

 

Le salut n’agit donc pas à la façon d’un décret juridique qui atteindrait toute l’humanité en un

 

seul point du temps, ce sont plutôt des ondes de choc qui partent du sacrifice du Christ et qui

 

atteignent de proche en proche toutes les générations à tour de rôle. Mais ce passage de la

 

rédemption objective (celle réalisée en Jésus) à la rédemption subjective (en vous et en moi)

 

suppose que les conséquences de la première s’inscrivent dans l’espace-temps de chaque

 

existence humaine et atteignent chaque personne à son tour selon des processus variés qui

 

mettent en jeu sa liberté (prédication de la vérité, sacrements, adhésion à l’Eglise, ou au moins

 

influence indirecte de celle-ci).

 

Ce n’est qu’à la fin de l’histoire, lorsque Dieu aura vu réalisé son dessein selon le plenum

 

prévu dès le commencement, qu’il donnera un terme à l’aventure et que le Christ revenant

 

juger les vivants et les morts fera apparaître toute la part d’humanité qui était déjà sous son

 

influence, alors le mal étant vaincu dans les coeurs des sauvés, la mort et la souffrance

 

pourront être abolis pour toujours.

 

2- Justification/sanctification/salut

 

Dans chaque sujet individuel la puissance de la rédemption parvient de manière progressive.

 

a) Dieu ne nous délivre pas tout de suite des contraintes de la souffrance et de la mort, sans

 

avoir d’abord guéri nos coeurs du péché, faute de quoi notre guérison serait sans cesse remise

 

en cause. Son action part donc de notre liberté à guérir, le reste (notre pleine délivrance) est

 

« objet d’espérance ». Saint Paul nous dit donc que nous avons pour l’instant les arrhes du

 

salut. Certes chez les saints on voit dans quelque cas le corps lui-même être déjà sous la

 

mouvance de la résurrection (brillance, miracles, incorruptibilité etc...), mais ceci est partiel et

 

souvent provisoire.

 

b) Même notre guérison spirituelle ne se réalise pas d’un coup. On a pris l’habitude d’appeler

 

justification (ou première justification) celle qui s’opère dans le baptême où nous sommes

 

revêtus de la sainteté du Christ, qui nous arrache à la fatalité du premier péché et fait habiter

 

en nous le Saint Esprit. Néanmoins cette première « touche » ne fait pas disparaître d’un coup

 

tout le désordre de notre humanité, subsiste notamment ce qu’on appelle la concupiscence, ou

 

volonté déréglée qui nous mène souvent au péché, c’est tout le chemin de notre vie soutenue

 

par les sacrements, qui doit nous mener à une vertu éprouvée, à une sainteté confirmée, mais

 

ceci coïncide pratiquement avec l’achèvement de notre course terrestre.

 

Conclusion :

 

La Rédemption est au coeur du christianisme, elle nous procure non un simple retour à la

 

situation adamique (nature+dons « préternaturels »), mais une véritable entrée dans la vie

 

divine, par participation au mode d’être du Fils.

 

 

Discerner et se décider en conscience

Une petite introduction sur l'art de discerner et de choisir ce qu'il est bon de faire.

  • INTRODUCTION
  • I. Petite grammaire anthropologique
  • 1. Volonté de Dieu et illusions de l'imaginaire
  • 2. Articuler les vertus
  • 3. Repérer les niveaux de conscience.
  • II. Mise en œuvre d'une grille de lecture de discernement
  • 1. On discerne entre deux bonnes choses.
  • 2. Avant la décision : s'informer.
  • 3. Prendre la décision
  • 4. Mettre en oeuvre la décision
  • 5. Vérifier les fruits attendus
  • 6. … et recommencer.
  • III. Et en cas d'urgence ?
  • IV. Et si je m'aperçois que je me suis trompé?
  • Conclusion

INTRODUCTION

Réfléchir sur le discernement suppose que l'on ait acquis quelques repères sur la conscience morale. Nous supposons acquis les résultats suivants : La conscience droite est d'abord ce goût et cette soif du bien toujours en quête d'une perception et d'une connaissance plus universelle de ce bien. Ensuite, elle est une loi intérieure qui me convoque à faire ce que je crois être bien et à éviter ce que je crois être mal. Enfin, elle est une instance de jugement entre ce qui est perçu comme le bien à faire et ce qui a été effectivement réalisé.
Notre conscience est aussi appelée à s'exercer, et si possible chrétiennement, lorsqu'elle se trouve affrontée à une situation inattendue. Ainsi lorsque nous rencontrons des personnes qui ont fait d'autres choix de vie que le nôtre : un concubinage plutôt qu'un mariage, … ; ou que nous sommes agressés par des modes de vie incompatible avec le nôtre : pratique raciste sur le lieu du travail, … ; enfin lorsque tel ou tel nous appelle à une responsabilité que nous n'avions pas envisagée pour nous-mêmes, tel service dans une association caritative, telle nouvelle mission confiée par l'évêque, … . Dans tous ces cas, une situation nouvelle met en crise notre perception du monde, notre inscription dans ce monde qui est le nôtre et dans lequel nous avions réussi plus ou moins facilement à faire notre trou, à trouver notre rythme.
La crise, au sens du grec "krisi", est le " moment décisif ", exactement au sens où le moment critique est justement le plus petit commencement de mouvement (momentum, movimentum) qui suffit à faire pencher le fléau de la balance d'un côté plutôt que de l'autre. " La krisi", c'est encore l'action de juger, d'apprécier ou encore le résultat de cette action à savoir l'arrêt de justice.
Voilà qu'il va falloir faire appel à notre capacité de jugement, à notre conscience pour nous repositionner dans ce monde qui bouge sans nous en demander la permission. Nous sommes alors convoqués au discernement qui renvoie finalement à la question : Que dois-je faire ? Quelle est la volonté de Dieu ?

Pour nourrir notre réflexion, ous nous appuierons sur des données anthropologiques et spirituelles. C'est-à-dire que lorqu'il s'agit de se décider à orienter notre vie dans un sens ou dans un autre, il s'agit d'impliquer tout l'homme, toute notre personnalité, aussi unifiée que possible dans l'acte de discerntement. Car une fois la décision prise, rien n'est pire que l'intellignece qui est convaincue de la décision et le coeur qui la regrette.

 

 

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I. Petite grammaire anthropologique

Selon que nous sommes croyants ou non, notre propre perception de nous-mêmes et des autres ne sera pas la même. Le but du discernement ne se donnera pas de la même façon. Pour les chrétiens, la question du "Que dois-je faire ?" ne peut se séparer de la question "Quelle est la volonté de Dieu ? A quoi suis-je vraiment appelé dans ces événements que je traverse aujourd'hui ?".
Les hommes qui ne sont pas croyants s'appuient principalement sur la sagesse humaine et sur leur conscience qui est un guide sûr pour avancer versle bien si elle est exercer droitement.

Les chrétiens ont une autre source pour guider leur vie : la Parole de Dieu. Elle s'ajoute à la sagesse des hommes et l'éclaire. Ils savent que Dieu parle au travers des médiations qu'il a lui-même données aux hommes : La création, la sagesse des hommes, l'Eglise, les Ecritures, les liturgies, … Ses appels rejoignent des personnes concrètes marquées nécessairement par des caractères, des psychologies variées. Il importe alors de ne pas confondre un appel de Dieu avec un désir qui vient de soi ; de ne pas renoncer à écouter tout appel sous prétexte que l'on n'a pas confiance en soi. Nous avons besoin pour cela d'une petite grammaire anthropologique.

 

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1. Volonté de Dieu et illusions de l'imaginaire

La distinction, et les moyens d'y parvenir, entre la connaissance de la volonté de Dieu et ses propres désirs mériterait des pages entières. D'un côté l'Eglise a toujours dû faire face à des "illuminés" qui prenaient leurs désirs pour la réalité. De l'autre, les sciences de l'homme et en particulier la psychologie ont permis un peu plus de faire le tri parmi tous les sentiments qui habitent le coeur de l'homme. Cette distinction n'est donc pas neuve.

La Tradition croyante connaît tout de même quelques critères qui permettent à chacun et à la communauté d'y voir clair.

  • Ainsi, Dieu ne demande jamais l'impossible au sens concret du mot.

  • Dieu ne peut demander de faire du mal.

  • Si c'est bien Dieu qui appelle, d'autres peuvent le dire et le reconnaître avec moi.

  • Si Dieu appelle, il insiste dans le temps. C'est tout autre chose qu'une idée qui me traverse l'esprit.

  • Lorsque Dieu passe vraiment dans une vie, il y a aussi des signes de paix et de joie et de conversion personnelle qui sont associés à ce passage et qui durent dans le temps.

La confrontation durable avec l'Ecriture permet de dégonfler quelques baudruches.
Par exemple, nous pouvons faire attention au désir de toute puissance qui habite chacun. Réentendre l'Ecriture peut aider à dégonfler certaines psychologies trop enclines à confondre goût du pouvoir et service de la communauté : " Nous ne sommes que de simples serviteurs ". Attention aussi au mépris de soi-même qui consiste à se dénigrer et à se complaire dans une attitude de médiocrité. Ici aussi l'Ecriture peut encourager celui qui doute de lui-même : " Ne dis pas "Je suis un enfant" " réponds Dieu à Jérémie qui veut refuser la mission de prophète en invoquant sa faiblesse.


 

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2. Articuler les vertus

Les deux pièges évoqués ci-dessus relèvent un peu de la caricature. Ils sont en fait le reflet de vertus absolutisées : l'orgueil au dépend de l'estime de soi, le mépris de soi en guise d'humilité. Pour éviter de tomber dans ces pièges, il est prudent d'articuler les vertus entre elles afin de compenser leurs excès.

Prenons l'exemple de l'estime de soi. En tout homme, il existe des choses estimables et si nous savons les estimer chez d'autres, on peut aussi les estimer chez soi. Savoir reconnaître le bien auquel nous avons participé est une bonne chose. Il ne faut pas pour autant confondre cet estime de soi avec l'orgueil qui est son excès. L'humilité est aussi une vertu. Mais ceux qui croient exercer cette humilité en glissant dans le mépris de soi se trompent aussi. L'exercice excellent de la vertu ne se fait pas en s'approchant de son défaut mais plutôt dans la régularité et l'équilibre.

Tout appel qui nous est lancé rencontre inévitablement notre terrain psychologique que nous connaissons bien en général. Si la personne a naturellement du mal à s'estimer, en face d'un appel, elle aura tendance à se déclarer indigne ; tandis qu'une personne qui a plutôt une bonne estime de soi pourra parfois se demander pourquoi on ne lui a pas proposé plus tôt cette responsabilité...

 

articuler les vertus articuler les vertus  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ainsi donc, articuler les vertus permet de raison garder en face des appels que l'on nous lance. On exercera l'estime de soi avec humilité mais sans fausse modestie non plus. La façon dont on réagit face à un appel, une mission que l'on voudrait nous confier (tant au niveau intérieur qu'en face des autres) est un bon indice pour savoir si l'on confond nos désirs avec la réalité d'un appel qui ne peut venir que d'ailleurs, de la société et de Dieu lui-même.


 

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3. Repérer les niveaux de conscience.

Il s'agit de ne pas confondre le niveau psychologique, le niveau moral et le niveau spirituel qui structurent toute personne humaine. Lorsque les trois niveaux sont confondus, comment comprendre ce qui nous habite, comment interpréter un désir d'être responsable, quelle instance prend en charge la décision ? Parvenir à distinguer au fond de soi ces trois dimensions ne peut qu'être le fruit d'un long travail de discernement intérieur.

Une conscience affinée peut percevoir la tension qui existe au fond d'elle-même, se tourner vers la profondeur de sa profondeur et dire à Dieu : " Unifie mon cœur, qu'il craigne ton nom " (Ps 85).

Pour prendre les trois niveaux ensemble, quelqu'un de psychologiquement blessé par des échecs successifs peut, par droiture morale, faire part de ses réserves à ceux qui veulent lui confier une responsabilité et finalement par confiance en Dieu qui l'appelle dans la communauté et assurée du soutien de ses amis accepter la charge proposée.

 

 

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II. Mise en œuvre d'une grille de lecture de discernement

 

Il est impossible d'avoir une grille de discernement universelle. Discerner pour un choix de vie définitif comme un mariage ou une vie religieuse n'est pas du même ordre que le discernement à faire lorsqu'on nous appelle à prendre une responsabilité de secteur dans une association pour trois ans. Il y a des éléments communs mais la méthode s'adapte à l'objet. L'investissement se fait en proportion des enjeux.
J'ai choisi de présenter une grille de lecture pour le deuxième cas de figure : Comment réfléchir face à un appel qui nous est lancé à prendre une responsabilité pour une durée déterminée dans l'Eglise, en Eglise ? Quatre étapes et une cinquième sont nécessaires. Chacun pourra adapter.

 

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1. On discerne entre deux bonnes choses.

On ne peut discerner comment faire le mal. Il s'agit donc de voir si le choix que je dois faire est bien entre deux bonnes choses que je peux également faire devant Dieu. Il arrive parfois que l'on soit affronté à deux maux auxquels on ne peut échapper. La tradition de l'Eglise rappelle que dans ce cas là, il faut toujours choisir le moindre. Mais quand bien même on aurait choisi le moindre, c'est toujours un mal.

 

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2. Avant la décision : s'informer.

· L'attitude fondamentale consiste à ne pas laisser la situation gouverner nos choix. Cependant, on ne peut pas ignorer la réalité. Qui s'y risquerait s'y cognerait plus durement encore. C'est pourquoi un discernement se fait toujours EN situation.
· Consulter ceux qui ont répondu au même appel et recueillir leur expérience.
· Que dit l'Eglise ? Relire à l'occasion l'exhortation apostolique de Jean-Paul II " les fidèles laïcs " publiée en 1989. Mais se rappeler aussi un autre critère ecclésial : jamais le bien commun ne peut se bâtir contre un bien particulier, comme celui de la famille.
· Prier de manière ouverte. C'est-à-dire ne pas exiger de Dieu qu'il nous appelle à un chemin plutôt qu'un autre et ne pas le contraindre à un mode de " communication " avec nous plutôt qu'à un autre (une parole de la Bible qui nous toucherait, un signe extérieur, …).
· Où va le goût intérieur ? Ne surtout pas nier mais reconnaître les sentiments qui ont surgi à l'occasion de l'appel qui a été lancé. Goût ? Crainte ?
· Ne pas ignorer le prix à payer (financier, intellectuel, spirituel, disponibilité à la vie de famille, non renouvellement d'autres engagements, …).
· User des moyens raisonnables autant que faire se peut. Faire la liste des avantages et inconvénients que l'on verrait à accepter ou à refuser l'appel qui nous est fait. Puis comparer avec toute son intelligence.
· Lorsqu'une décision concerne le couple ou un groupe de personnes, que toutes les personnes aient une voix dans le processus de décision.
· Ne jamais faire jouer un seul critère. Il s'agit plutôt de repérer le principal faisceau d'indices qui tire dans la même direction.
(…).

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 3. Prendre la décision

Il importe de pouvoir décider nous-mêmes et de ne pas, si possible, laisser la vie décider à notre place. Le chemin à parcourir se fera avec d'autant plus de courage et de détermination que la décision sera nôtre. Il est utile, enfin de savoir pourquoi telle décision est prise et quels fruits on en attend et éventuellement de l'écrire.
La décision se prend dans le calme et devrait nous laisser en paix. Une bonne décision est celle qui contribue à notre unité intérieure quitte à intégrer un certain nombre de tensions qui ont été jugées indépassables.


 

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4. Mettre en oeuvre la décision

C'est alors que l'on peut se jeter résolument dans l'action. Il est prudent de ne pas remettre en cause une décision mûrement réfléchie lors des difficultés - par ailleurs probables et prévisibles si la première étape du discernement a été bien menée - qui surviendront.

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  5. Vérifier les fruits attendus

Cela fait partie intégrante du processus de discernement. D'une part il est nécessaire de faire le bilan des actions entreprise pour pouvoir en répondre envers soi-même et envers ceux qui nous ont appelé. D'autre part parce que la relecture nourrit en retour notre conscience et affine notre aptitude au discernement. C'est aussi en cela que tant l'instance qui a lancé l'appel que ceux qui ont répondu à cet appel exerce leur responsabilité jusqu'au bout.
Les chrétiens disposent d'une tradition de relecture importante dans les mouvements d'action catholique ou de spiritualité. Ne l'oublions pas.

 

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6. … et recommencer.

Lorsqu'un mandat est à durée déterminée, il peut être renouvelable. Auquel cas il faut recommencer le processus, fort de l'expérience acquise. Le danger serait de croire que l'expérience nous dispense d'une étape. En revanche elle peut nous aider à établir d'autres critères que l'on trouvera, pour l'occasion, plus pertinents.

Nous aboutissons ainsi au schema suivant :

 

 Processus discernement Processus discernement  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J'ai apprécié la grille de lecture de Panorama publiée en septembre 2006 p. 27 dans un dossier réalisé par Christophe Henning. Je la livre telle quelle, elle complète et améliore sûrement mon travail. Le lecteur attentif de ce qui a précédé saura distribuer correctement les questions en fonction des 5 étapes que j'ai repérées.

  1. Poser les termes de la décision : quel et l'enjeu de cette décision pour moi ?
  2. Quels enseignements puis-je tirer de mes précédentes décisions ?
  3. Cette décision s'inscrit-elle dans ce qui est le désir profond de ma vie ? Ou bien est-ce une rupture ?
  4. Est-ce que je suis libre de décider ? Ai-je le droit de dire "non" ?
  5. Est-ce que les conséquences de cette décision sont en accord avec mes convictions, ma foi, avec ce que je considère comme souhaitable dans mon existence ?
  6. Est-ce que je peux légitimement prendre le temps de la décision ? Puis-je demander un temps de réflexion ?
  7. Ai-je la possibilité de reconnaître que je ne sais pas ? Est-ce que j'ai besoin de me renseigner, de m'informer ?
  8. Ai-je trouvé une personne de confiance qui peut m'écouter et m'aider à pointer les questions que je dois examiner ?
  9. Lorsque j'envisage de prendre une décision, quel est l'état dans lequel je me trouve ? Suis-je joyeux, paisible, serein, ou plutôt inquiet, abattu, apeuré ?
  10. Ensuite, est-ce que je prends le temps de revoir ma décision ? Doit-elle être ajustée ?

Toujours dans le même article de Panorama (Septembre 2006, p. 24-29), Christophe Henning fait une typologie des étapes qui permettent d'analyser un processus de décision. En voici les sous-titres, il sont eux aussi au nombre de 10.

  1. Se faire confiance.
  2. Oser le courage.
  3. Cerner son désir profond.
  4. Prendre conseil.
  5. Choisir en conscience.
  6. Accepter le renoncement.
  7. S'ajuster toujours.
  8. En toute liberté.
  9. A l'écoute de la volonté de Dieu.
  10. Juger l'arbre à ses fruits.
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III. Et en cas d'urgence ?
 

C'est rarement le cas mais il arrive que nous soyons plongés dans une situation qui exige de notre part une décision très rapide où les temps de la réflexion, de la consultation et de la prière nous sont inaccessibles. Dans ces cas-là, nous discernons, nous décidons en fonction de notre " goût pour le bien ". Et ne croyons pas qu'il est sans valeur. En effet, si nous avons pratiqué dans notre vie quotidienne ce travail de discernement, nous avons acquis un certain habitus, un certain " flair " qui, sans être infaillible, demeure souvent dans une première approche assez fiable. Et puisque l'on aura fait ce que l'on a pu dans les limites de notre humanité, même si la solution retenue ne s'avère pas excellente, restons en paix avec nous-mêmes. Plus n'était pas à notre portée. L'acceptation de ses limites permet de vivre.
Reste qu'il vaut mieux, quand on peut, faire perdre aux situations d'urgence leur caractère d'urgence.

 

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IV. Et si je m'aperçois que je me suis trompé?

Que signifie " se tromper " ? Etre déçu ? Le travail est moins gratifiant qu'on ne le pensait ? La réalité est autre qu'on ne l'avait imaginée ? Avait-on alors sous estimé tel ou tel aspect des critères utilisés ? Décidé dans la crainte de décevoir le regard des autres ou du conjoint, mais sans le dire ? (…)

  • Il importe tout d'abord de ne jamais oublier que Dieu nous rejoint toujours là où nous sommes même si ce n'est pas là où il nous attendait car ailleurs nous n'y sommes pas. Il ne s'agit pas, en revanche, de faire exprès de s'éloigner de cette volonté. En effet, il n'est jamais permis de faire volontairement ce que l'on croit être mal.

  • Ensuite, il est peu probable que le discernement, s'il a eu lieu, quoique imparfait, ait été totalement nul. Les difficultés ont dues normalement être envisagées globalement. Elles ne devraient donc pas surpendre. Il est sans doute possible de poursuivre l'engagement moyennant quelques aménagements. La persévérance au cœur des vicissitudes de notre condition dans la fidélité à une promesse à une parole donnée construisent notre humanité plus qu'on ne l'imagine.

  • Mais en définitive, " à l'impossible, nul n'est tenu ".
     

  • Enfin, la relecture de cette page d'histoire à propos de notre jugement sur nous-mêmes et nos aptitudes, voire nos échecs, enrichira certainement notre conscience. Et souvenons-nous que si nos actes contribuent à forger notre personnalité, personne n'est réductible à son passé, quel qu'il fut.

 

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Conclusion
 

Le travail sur le discernement n'a pu se faire sans l'acquisition d'une petite grammaire anthropologique sur l'intériorité de l'homme ni sans l'usage d'une méthode avec des étapes bien précises. En général, les chrétiens vivent spontanément la plupart des étapes ci-dessus évoquées parce qu'ils pratiquent leur foi, prient, agissent, discutent avec d'autres… Repérons néanmoins au terme de cette petite étude que la conscience oblige à affiner un discernement et que le discernement nourrit en retour la " base de données " de la conscience.
" Lequel d'entre vous, quand il veut bâtir une tour, ne commence par s'asseoir… " Lc 14, 28.

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PREMIERE PARTIE
Les Principes

 CHAPITRE IV
De l'obligation de tendre à la perfection

352. Ayant exposé la nature de la vie chrétienne et sa perfection, il nous reste à examiner s'il y a pour nous une véritable obligation de progresser en cette vie ou s'il ne suffit pas de la garder précieusement comme on garde un trésor. Pour répondre avec plus de précision, nous examinerons cette question par rapport à trois catégories de personnes : 1° les simples fidèles ou chrétiens ; 2° les religieux ; 3° les prêtres, insistant sur ce dernier point, à cause du but spécial que nous nous proposons.
 

ART. I. DE L’OBLIGATION POUR LES CHRETIENS DE TENDRE A LA PERFECTION

Nous exposerons : 1° l'obligation elle-même ; 2° les motifs qui rendent ce devoir plus facile.

§1. De l'obligation proprement dite

353. En une matière aussi délicate il importe de mettre autant de précision que possible. Il est certain qu'il faut et qu'il suffit de mourir en état de grâce pour être sauvé ; il semble donc qu'il n'y ait pour les fidèles d'autre obligation stricte que celle de conserver l'état de grâce. Mais précisément la question est de savoir si on peut conserver pendant un temps notable l’état de grâce sans s'efforcer de faire des progrès. Or l'autorité et la raison éclairée par la foi nous montrent que, dans l'état de nature déchue, on ne peut demeurer longtemps dans l'état de grâce sans s'efforcer de progresser dans la vie spirituelle, et de pratiquer de temps, en temps quelques-uns des conseils évangéliques.

I. L'argument d'autorité

354. 1° La Sainte Ecriture ne traite pas directement cette question : après avoir posé le principe général de la distinction entre les préceptes et les conseils, elle ne nous dit pas généralement ce qui, dans les exhortations de Notre Seigneur, est obligatoire ou non. Mais elle insiste tant sur la sainteté qui convient aux chrétiens, elle met devant nos yeux un tel idéal de perfection, elle prêche si ouvertement à tous la nécessité du renoncement et de la charité, éléments essentiels de la perfection, que, pour tout esprit impartial, se dégage la conviction que, pour sauver son âme, il faut, à certains moments, faire plus que ce qui est strictement commandé et par conséquent s'efforcer de progresser.
355. A) Ainsi Notre Seigneur nous présente comme idéal de sainteté la perfection même de notre Père céleste : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait, Estote ergo vos perfecti, sicut et Pater vester cælestis perfectus est » (Matth., V, 48) ; ainsi donc tous ceux qui ont Dieu pour père, doivent se rapprocher de cette perfection divine ; ce qui ne peut se faire évidemment sans quelque progrès. Et, au fond, tout le sermon sur la montagne n'est que le commentaire, le développement de cet idéal. La voie à suivre pour cela, c'est la voie du renoncement, de l'imitation de Notre Seigneur et de l'amour de Dieu : « Si quelqu'un vient à moi et ne hait pas (c. à d. ne sacrifie pas) son père, sa mère, sa femme, ses fils, ses frères et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple : Si quis venit ad me, et non odit patrem suum, et matrem et uxorem et filios et fratres, adhuc autem et animam suam non potest meus esse discipulus » (Luc, XIV, 26-27). Il faut donc, en certains cas, préférer Dieu et sa volonté à l'amour de ses parents, de sa femme, de ses enfants, de sa propre vie et tout sacrifier pour suivre Jésus ; ce qui suppose un courage héroïque qu'on ne possédera pas au moment voulu si on ne s'y est préparé par des sacrifices de surérogation. Sans doute cette voie est étroite et difficile, et bien peu la suivent ; mais Jésus veut qu'on fasse des efforts sérieux pour y entrer : « Contendite intrare per angustam portam » (Luc, XIII, 24) ; n’est-ce pas nous demander de tendre à la perfection ?
356. B) Ses apôtres ne tiennent pas un langage différent ; Saint Paul rappelle souvent aux fidèles qu'ils ont été choisis pour devenir saints : « ut essemus sancti et immaculati in conspectu ejus in caritate » (Ephes., I, 4) ; ce qu'ils ne peuvent faire sans se dépouiller du vieil homme et se revêtir du nouveau, c'est-à-dire, sans mortifier les tendances de la mauvaise nature et sans s'efforcer de reproduire les vertus de Jésus. Or ils ne peuvent le faire, ajoute Saint Paul, sans s'efforcer de parvenir « à la mesure de la pleine croissance de la plénitude du Christ, donec occurramus omnes... in virum perfectum, in mensuram ætatis plenitudinis Christi » (Ephes., IV, 10-16) ; ce qui veut dire qu'étant incorporés au Christ, nous sommes son complément, et c'est à nous, en progressant dans l'imitation de ses vertus, à le faire grandir, à le compléter. Saint Pierre veut aussi que tous ses disciples soient saints comme celui qui les a appelés au salut : « secundum eum qui vocavit vos Sanctum, et ipsi in omni conversatione sancti sitis » (I Petr., I, 15). Peuvent-ils l'être, s'ils ne progressent dans la pratique des vertus chrétiennes ? Saint Jean dans le dernier chapitre de l'Apocalypse invite les justes à ne cesser de pratiquer la justice et les saints à se sanctifier encore davantage : « Qui justus est, justificetur adhuc, et sanctus, sanctificetur adhuc » (Apoc., XXII, 11)
357. C) C'est ce qui découle encore de la nature de la vie chrétienne, qui, au langage de Notre Seigneur et de ses disciples, est un combat, où la vigilance et la prière, la mortification et la pratique positive des vertus sont nécessaires pour remporter la victoire : « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation, vigilate et orate ut non intretis in tentationem » (Matth., XXVI, 41). Ayant à lutter non seulement contre la chair et le sang, c'est-à-dire, la triple concupiscence, mais encore contre les démons qui l'attisent en nous, nous avons besoin de nous armer spirituellement et de combattre vaillamment. Or, dans une, lutte prolongée, on est presque fatalement vaincu si on se tient uniquement sur la défensive ; il faut donc recourir aux contre-attaques, c'est-à-dire, à la pratique positive des vertus, à la vigilance, à la mortification, à l'esprit de foi et de confiance. C'est bien la conclusion que tire Saint-Paul, quand, après avoir décrit la lutte que nous avons à soutenir, il déclare que nous devons être armés de pied en cap, comme le soldat romain, « les reins ceints de la vérité, revêtus de la cuirasse de justice, et les sandales aux pieds, prêts à annoncer l'Evangile de paix, avec le bouclier de la foi, le casque du salut et le glaive de l'Esprit : State ergo succinti lumbos vestros in veritate, et induti loricam justitiæ, et calceati pedes in præparatione evangelii pacis ; in omnibus sumentes scutum fidei... et galeam salutis assumite et gladium Spiritus... » (Ephes., VI, 14-17). Et par là, il nous montre que, pour triompher de nos adversaires, il faut faire plus que ce qui est strictement prescrit.
358. 2° La Tradition confirme cet enseignement. Quand les Pères veulent insister sur la nécessité de la perfection pour tous, ils disent que, dans la voie qui conduit à Dieu et au salut, on ne peut demeurer stationnaire : il faut avancer ou reculer. Ainsi Saint Augustin, faisant remarquer que la charité est active, nous avertit qu'il ne faut pas s'arrêter en chemin, précisément parce que s'arrêter c'est reculer ; et son adversaire, Pélage, admettait le même principe, tant il est évident. Aussi le dernier des Pères, Saint Bernard, expose cette doctrine sous une forme saisissante : « Tu ne veux pas progresser ? - Non. - Tu veux donc reculer ? - Pas du tout. - Que veux-tu donc ? - Je veux vivre de telle manière que je demeure au point où je suis parvenu... - Ce que tu veux est impossible, car rien en ce monde ne demeure dans le même état... » (Epist. CCLIV ad abbatem Suarinam, n°4). Et il ajoute ailleurs : « Il faut nécessairement monter ou descendre ; si on essaie de s'arrêter, on tombe infailliblement. » (Epist. XCI ad abbates Suessione congregatos, n°3). Aussi N. S. P. le Pape Pie XI, dans son Encyclique du 26 janvier 1923 sur S. Fr. de Sales, déclare nettement que tous les chrétiens, sans exception, doivent tendre à la sainteté.

II. L'argument de raison

La raison fondamentale pour laquelle il nous faut tendre à la perfection, c'est bien celle qui est donnée par les Pères.
359. 1° Toute vie, étant un mouvement, est essentiellement progressive, en ce sens que, quand elle cesse de croître, elle commence à s'affaiblir. La raison en est qu'il y a, en tout vivant, des forces de désagrégation qui, si elles ne sont pas enrayées, finissent par produire la maladie et la mort. Ainsi en est-il de notre vie spirituelle : à côté des tendances qui nous portent vers le bien, il en est d'autres, très actives, qui nous portent vers le mal ; pour les combattre, le seul moyen efficace, c'est d'augmenter en nous les forces vives, c'est-à-dire, l'amour de Dieu et les vertus chrétiennes ; alors les tendances mauvaises s'affaiblissent. Mais, si nous cessons de faire effort pour avancer, nos vices se réveillent, reprennent des forces, nous attaquent plus vivement et plus fréquemment; et si nous ne nous réveillons pas de notre torpeur, le moment vient où, de capitulations en capitulations, nous tombons dans le péché mortel. C'est hélas ! l'histoire de bien des âmes, comme le savent les directeurs expérimentés.
Une comparaison nous le fera comprendre. Pour faire notre salut, nous avons à remonter un courant plus ou moins violent, celui de nos passions désordonnées qui nous portent vers le mal. Tant que nous faisons effort pour pousser notre barque en avant, nous réussissons à remonter le courant, ou du moins à le contrebalancer ; le jour où nous cessons de ramer, nous sommes emportés par le courant, et reculons vers l’océan, où nous attendent les tempêtes, c'est-à-dire les tentations graves et peut-être des chutes lamentables.
360. 2° Il y a des préceptes graves qui ne peuvent être observés à certains moments que par des actes héroïques. Or, en tenant compte des lois psychologiques, on n'est généralement capable de faire des actes héroïques que si on s'y est préparé à l'avance par quelques sacrifices, ou, en d'autres termes par des actes de mortification. Pour rendre cette vérité plus tangible, donnons quelques exemples. Prenons le précepte de la chasteté, et voyons ce qu'il exige d'efforts généreux, parfois, héroïques, pour être gardé toute la vie. Jusqu'au mariage (et beaucoup de jeunes hommes ne se marient guère avant 28 ou 30 ans), c'est la continence absolue qu'il faut pratiquer sous peine de péché mortel. Or les tentations graves commencent pour presque tous à l'âge de la puberté, et parfois auparavant ; pour y résister victorieusement, il faut prier, se sevrer des lectures, des représentations, des relations dangereuses, se reprocher les moindres petites capitulations et profiter de ses défaillances pour se relever aussitôt et généreusement, et cela pendant une longue période de la vie. Est-ce que tout cela ne suppose pas des efforts plus qu'ordinaires, quelques œuvres de surérogation ? Le mariage une fois contracté ne met pas à l'abri des tentations graves ; il y a des périodes où il faut pratiquer la continence conjugale ; or, pour le faire, il faut un courage héroïque, qui ne s'acquiert que par une longue accoutumance à la mortification du plaisir sensuel, et par la pratique assidue de la prière.
361. Qu'on prenne maintenant les lois de la justice dans les transactions financières, commerciales et industrielles, et qu'on pense au nombre considérable d'occasions qui se présentent de la violer ; à la difficulté de pratiquer l'honnêteté parfaite dans un milieu où la concurrence et l'âpreté au gain font majorer les prix au-delà des limites permises ; et l'on verra que, pour rester simplement honnête, il faut une somme d'efforts et d'abnégation plus qu'ordinaire. Sera-t-il capable de ces efforts celui qui s’est accoutumé à ne respecter que les prescriptions graves, qui s'est permis avec sa conscience des compromissions d'abord légères, puis plus sérieuses et enfin troublantes ? Pour éviter ce danger, ne faut-il pas faire un peu plus que ce qui est strictement commandé, afin que la volonté, fortifiée par ces actes généreux, ait assez de vigueur pour ne pas se laisser entraîner à des actes d'injustice ?
C'est donc de tous côtés que se vérifie cette loi morale que, pour ne pas tomber dans le péché, il faut fuir le danger par des actes généreux qui ne tombent pas directement sous le précepte. En d'autres termes, pour atteindre le but, il faut viser plus haut ; et, pour ne pas perdre la grâce, il faut fortifier sa volonté contre les tentations dangereuses par des œuvres de surérogation, en un mot tendre à une certaine perfection.

§ II. Des motifs qui rendent ce devoir plus facile

Les nombreux motifs qui peuvent porter les simples fidèles à tendre vers la perfection, se ramènent à trois principaux : 1° le bien de notre âme ; 2° la gloire de Dieu ; 3° l’édification du prochain.
362. 1° Le bien de notre âme, c'est avant tout l'assurance du salut, la multiplication de nos mérites, et enfin les joies de la conscience.
A) La grande œuvre que nous avons à accomplir sur terre, l'œuvre nécessaire, et, à vrai dire, l'unique nécessaire, c'est le salut de notre âme. Si nous la sauvons, quand bien même nous perdrions tous les biens de la terre, parents, amis, réputation, richesse, tout est sauvé ; nous retrouverons au ciel, au centuple, tout ce que nous avions perdu, et cela pour toute l’éternité. Or le moyen le plus efficace pour assurer notre salut, c'est de viser à la perfection, chacun selon son état ; plus nous le faisons avec sagesse et constance, plus nous nous éloignons par là même du péché mortel, qui seul peut nous damner : il est évident en effet que, quand on s'efforce sincèrement de devenir plus parfait, on écarte par là même les occasions de péché, on fortifie sa volonté contre les surprises qui nous guettent, et, le moment de la tentation venu, la volonté, déjà aguerrie par l'effort vers la perfection, accoutumée à prier pour s'assurer la grâce de Dieu, repousse avec horreur la pensée du péché grave. Celui qui au contraire se permet tout ce qui n'est pas faute grave, s'expose à y tomber quand se présentera une violente et longue tentation : accoutumé à céder au plaisir en des choses moins graves, il y a lieu de craindre qu’emporté par la passion, il ne finisse par y succomber, comme celui qui côtoie constamment l'abîme finit par y tomber. Pour être sûr de ne pas offenser Dieu gravement, le meilleur moyen est de s'éloigner des bords du précipice en faisant plus que ce qui est commandé, en s'efforçant d'avancer vers la perfection ; plus on y tend avec prudence et humilité, et plus on assure son salut éternel.
363. B). Par là aussi on augmente chaque jour les degré de grâce habituelle que l'on possède et les degrés de gloire auxquels on a droit. Nous avons vu en effet que tout effort surnaturel fait pour Dieu par une âme en état de grâce, lui vaut un accroissement de mérites. Celui qui ne se soucie pas de la perfection et fait son devoir avec plus ou moins de nonchalance, n'acquiert que peu de mérites, comme nous l'avons dit, n° 243. Mais celui qui tend à la perfection et s'efforce de progresser, en acquiert un grand nombre ; ainsi chaque jour il augmente son capital de grâce et de gloire, ses jours sont pleins de mérites : chaque effort est récompensé par une augmentation de grâce sur terre, et plus tard par un poids immense de gloire, « æternum gloriæ pondus operatur in nobis ! » (II Cor., IV, 17).
364. C) Si l'on veut goûter un peu de bonheur sur terre, rien de meilleur que la piété : « elle est, dit Saint Paul, utile à tout ; elle a des promesses pour la vie présente et pour la vie éternelle : pietas autem ad omnia utilis est, promissionem habens vitæ quæ nunc est et futuræ » (I Tim., IV, 8). La paix de l'âme, la joie de la bonne conscience, le bonheur d'être uni à Dieu, de progresser en son amour, d'arriver à une intimité plus grande avec Notre Seigneur, telles sont quelques-unes des récompenses que Dieu ménage dès maintenant à ses fidèles serviteurs, au milieu de leurs épreuves, avec l'espoir si réconfortant du bonheur éternel.
365. 2° La gloire de Dieu. Rien de plus noble que de la procurer, rien de plus juste, si nous nous rappelons ce que Dieu a fait et ne cesse de faire pour nous. Or une âme parfaite rend plus de gloire à Dieu que mille âmes ordinaires : elle multiplie en effet chaque jour ses actes d'amour, de reconnaissance, de réparation, elle oriente dans ce sens sa vie tout entière par l'offrande souvent renouvelée de ses actions ordinaires, et ainsi glorifie Dieu du matin au soir.
366. 3° L'édification du Prochain. Pour faire du bien autour de nous, convertir quelques pécheurs ou incroyants et affermir dans le bien les âmes chancelantes, il n'est rien de plus efficace que l'effort qu'on fait pour mieux pratiquer le christianisme : autant la médiocrité de la vie attire sur la religion les critiques des incroyants, et autant la vraie sainteté excite leur admiration pour une religion qui sait produire de tels effets : « C'est au fruit qu'on juge l'arbre : ex fructibus eorum cognoscetis eos » (Matth., VII, 20). La meilleure apologétique est celle de l'exemple, quand on sait y joindre la pratique de tous les devoirs sociaux. C'est aussi un excellent stimulant pour les médiocres, qui s'endormiraient dans leur mollesse, si les progrès des âmes ferventes ne venaient les faire sortir de leur torpeur.
Beaucoup d'âmes aujourd'hui sont accessibles à ce motif : en ce siècle de prosélytisme, les laïques comprennent mieux qu’autrefois la nécessité de défendre et de propager leur foi par la parole et par l’exemple. Il appartient aux prêtres de favoriser ce mouvement en formant autour d'eux une élite de vaillants chrétiens qui ne se contentent pas d'une vie médiocre et vulgaire, s'efforcent de progresser chaque jour dans l'accomplissement de tous leurs devoirs, devoirs religieux en premier lieu, mais aussi devoirs civiques et sociaux. Ce seront d'excellents collaborateurs, qui pénétrant en des milieux peu accessibles aux religieux et aux prêtres, les seconderont efficacement dans la pratique de l'apostolat.

ART. II. DE L'OBLIGATION POUR LES RELIGIEUX DE TENDRE A LA PERFECTION

367. Parmi les chrétiens, il en est qui, voulant se donner plus parfaitement à Dieu, et assurer plus efficacement le salut de leur âme, entrent dans l'état religieux. Or cet état est, selon le Code de droit canon (Canon 487), « une manière stable de vivre en commun, où l'on s'engage à pratiquer, outre les lois générales, les conseils évangéliques en faisant les vœux d'obéissance, de chasteté et de pauvreté ».
Que les Religieux soient tenus, en vertu de leur état, à tendre à la perfection, c'est ce qu'enseignent unanimement les théologiens, et ce qu'a rappelé le Code, en déclarant que « tous et chacun des religieux, les supérieurs aussi bien que les sujets, doivent tendre à la perfection de leur état » (Canon 593). Cette obligation est tellement grave que S. Liguori n'hésite pas à dire qu'un religieux pèche mortellement, s'il prend. la résolution ferme de ne pas tendre à la perfection, ou de ne s'en soucier aucunement (Theol. moralis, l. IV, n° 18). Par là en effet il manque gravement à son devoir d'état, qui est précisément de tendre à la perfection. C'est même pour cela que l’état religieux est appelé un état de perfection, c’est-à-dire un état reconnu officiellement par le Droit Canon comme une situation stable, où l'on s'oblige à acquérir la perfection.
Il n'est donc pas nécessaire d’avoir acquis la perfection avant d’y entrer, mais on y entre précisément pour l'acquérir, selon la remarque de Saint Thomas (Sum. theol. IIa IIæ, q. 186, a. 1, ad 3).
L'obligation, pour les religieux, de tendre à la perfection se base sur deux raisons principales : 1° leurs vœux ; 2° leurs constitutions et règles.

I. Obligation fondée sur les vœux

368. Quand on se fait religieux, c'est dans le but de se donner, de se consacrer plus parfaitement à Dieu, et c'est pour cela qu'on fait les trois vœux. Or ces vœux obligent à des actes de vertu qui ne sont pas commandés, et qui sont d'autant plus parfaits que le vœu ajoute à leur valeur intrinsèque celle de la vertu de religion ; ils ont en outre l'avantage de supprimer ou du moins d'atténuer quelques uns des plus grands obstacles à la perfection. C'est ce que nous comprendrons mieux en parcourant ces vœux en détail.
369. 1° Par le vœu de pauvreté on renonce aux biens extérieurs qu'on possède ou qu'on pourrait acquérir ; si le vœu est solennel, on renonce au droit de propriété lui-même, si bien que tous les actes de propriété qu'on voudrait faire, seraient canoniquement invalides, nous dit le Code, can. 579 ; si le vœu est simple, on ne renonce pas au droit de propriété lui-même, mais au libre usage de ce droit, dont on ne peut user qu'avec la permission des Supérieurs et dans les limites tracées par eux.
Ce vœu nous aide à vaincre l'un des grands obstacles à la perfection, l'amour immodéré des richesses et les soucis que cause l'administration des biens temporels ; c'est donc un grand moyen de progrès spirituel. Par ailleurs il impose des sacrifices pénibles : on n'a pas cette sécurité, cette indépendance que donne le libre usage de ses biens ; on a parfois à souffrir de certaines privations qu'impose la vie commune ; c'est pénible et humiliant d'avoir recours à un Supérieur chaque fois que l'on a besoin des ressources nécessaires. Il y a donc là des actes de vertu auxquels on s'est obligé par vœu, et qui non-seulement nous font tendre à la perfection, mais nous en rapprochent.
370. 2° Le vœu de chasteté nous fait triompher d'un second obstacle à la perfection, de la concupiscence de la chair, et nous débarrasse des occupations et des préoccupations de la vie de famille. C'est ce que fait remarquer Saint Paul : « Celui qui n'est pas marié a souci des choses du Seigneur ; il cherche à plaire à Dieu ; celui qui est marié a souci des choses du monde, il cherche à plaire à sa femme, et il est partagé » (I Cor., VII, 32-33). Mais le vœu de chasteté n'enlève pas la concupiscence, et la grâce qui nous est donnée pour le garder n'est pas une grâce de repos, mais une grâce de lutte. Pour demeurer continent toute sa vie, il faut veiller et prier, c'est-à-dire, mortifier ses sens extérieurs, sa curiosité, réprimer les écarts de l'imagination et de la sensibilité, se condamner à une vie laborieuse, et, par-dessus tout, donner son cœur entièrement à Dieu, par la pratique de la charité, essayer de vivre dans une union intime et affectueuse avec Notre Seigneur, ainsi que nous le montrerons en parlant de la chasteté. Or agir ainsi c'est évidemment tendre à la perfection, c’est renouveler sans cesse son effort pour se vaincre soi-même et maîtriser l'une des tendances les plus violentes de la nature corrompue.
371. 3° L'obéissance va encore plus loin, en soumettant non seulement à Dieu, mais aux Règles et aux Supérieurs ce à quoi nous tenons le plus, notre volonté propre. Par le vœu d'obéissance en effet, le Religieux s'engage à obéir aux ordres de son Supérieur légitime, en tout ce qui se rapporte à l'observance des vœux et des constitutions. Il s'agit ici d'un ordre formel et non d'un simple conseil ; on le reconnaît aux formules employées par le Supérieur, par exemple, s'il commande au nom de la sainte obéissance, au nom de Notre Seigneur, ou en intimant un précepte formel ou en employant toute autre expression équivalente. Sans doute il y a des limites à ce Pouvoir des Supérieurs ; il faut qu'ils ordonnent selon la règle « en se bornant à ce qui s'y trouve formellement, ou implicitement renfermé : telles sont les constitutions, les statuts légitimement portés pour en procurer l'observation, les pénitences infligées pour punir les transgressions et prévenir la rechute, tout ce qui tient à la manière de bien remplir les emplois et à une bonne et droite administration » (Valuy, Les Vertus religieuses, p. 106).
Mais, malgré ces restrictions, il reste vrai que le vœu d'obéissance est un de ceux qui coûtent le plus à la nature humaine, précisément parce que nous tenons beaucoup à notre volonté propre. Pour l'observer, il faut de l'humilité, de la patience, de la douceur ; il faut modifier le penchant très vif que nous avons à critiquer les Supérieurs, à préférer notre jugement au leur, à suivre nos goûts et parfois nos caprices. Surmonter ces tendances, incliner respectueusement notre volonté devant celle des Supérieurs, en voyant Dieu en eux, c'est assurément tendre à la perfection, puisque c'est cultiver quelques-unes des vertus les plus difficiles ; et, comme l'obéissance vraie est la meilleure marque d'amour, c'est au fond croître dans la vertu de charité.
372. On le voit donc, la fidélité aux vœux entraîne la pratique non seulement des trois grandes vertus de pauvreté, de chasteté et d'obéissance, mais encore de beaucoup d'autres qui sont nécessaires à leur sauvegarde ; et s'engager à les observer, c'est assurément s'obliger à un degré de perfection peu commune. C'est du reste ce qui résulte aussi du devoir d'observer les Constitutions.

II. Obligation fondée sur les Constitutions et les Règles

373. Quand on entre dans l'état religieux, on s'engage par là même à en observer les Constitutions et les Règles qui sont expliquées au cours du noviciat, avant la profession. Or quelle que soit la Congrégation à laquelle on se donne, il n'en est pas une seule qui ne se propose pour but la sanctification de ses membres, et qui ne détermine, parfois d'une façon très détaillée, les vertus que l'on doit pratiquer, et les moyens qui en facilitent l'exercice. Si donc on est sincère, on s'oblige à observer, au moins dans leur ensemble, ces règlements divers, et par là même à s'élever à un certain degré de perfection ; car, même en ne pratiquant que l'ensemble des règles, on a encore beaucoup d'occasions de se mortifier en des choses qui ne sont pas de précepte ; et l'effort qu'on est obligé de faire pour cela est un effort vers la perfection.
374. Ici se présente la question de savoir si les manquements aux règles religieuses sont un péché ou une simple imperfection. Pour y répondre plusieurs distinctions s'imposent.
a) Il y a des règles qui prescrivent la fidélité aux vertus de précepte ou aux vœux, ou les moyens nécessaires pour les garder, comme la clôture pour les communautés cloîtrées. Ces règles obligent en conscience, précisément parce qu'elles ne font que promulguer une obligation qui résulte des vœux  eux-mêmes : en les faisant en effet, on s'oblige à les garder et à prendre les moyens nécessaires à leur observation. Elles obligent sous peine de péché, grave ou léger, selon que la matière est elle-même grave ou de peu d'importance. Ces règles sont donc préceptives, et dans certaines Congrégations elles sont nettement indiquées soit directement, soit indirectement par une sanction grave qui implique une faute du même genre.
375. b) Il y a au contraire des règles qui explicitement ou implicitement sont données comme étant simplement directives. 1) Y manquer sans raison est assurément une imperfection morale ; mais ce n'est pas en soi un péché même véniel, puisqu'il n’y a pas violation d'une loi ou d'un précepte. 2) Toutefois S. Thomas (Sum. theol. IIa IIæ, q. 186, a. 1, ad 3) fait remarquer avec raison qu’on peut pécher gravement contre la règle, si on la viole par mépris (mépris de la règle ou mépris des Supérieurs) ; légèrement, si on le fait par négligence volontaire, par passion, par colère, par sensualité, ou pour tout autre motif peccamineux : c'est alors le motif qui constitue la faute. On peut ajouter, avec S. Liguori, que la faute peut être grave, lorsque les manquements sont fréquents et délibérés, soit à cause du scandale qui en résulte et qui amène graduellement un affaissement notable de la discipline, soit parce que le délinquant s'expose ainsi à se faire renvoyer de la communauté, au grand détriment de son âme.
376. Il résulte de là que les Supérieurs sont obligés par devoir d'état de faire observer les règles avec soin, et que celui qui néglige de réprimer les transgressions, même légères de la règle, quand elles tendent à devenir fréquentes, peut commettre une faute grave, parce que par là il favorise le relâchement progressif, qui dans une communauté est un grave désordre. Tel est l'enseignement de Lugo, de S. Liguori, de Schram et de beaucoup d'autres théologiens.
Au reste le vrai religieux n'entre pas dans ces distinctions, il pratique la règle aussi intégralement qu'il le peut, sachant que c'est là le meilleur moyen de plaire à Dieu : « Qui regulæ vivit Deo vivit : vivre conformément à la règle, c'est vivre pour Dieu ». De même, il ne se contente pas de pratiquer strictement les vœux, il en pratique l'esprit, s'efforçant d'avancer chaque jour vers la perfection, selon la parole de S. Jean : « Que celui qui est saint, se sanctifie encore » ; et alors se vérifient pour lui les paroles de S. Paul : « Quiconque suivra cette règle jouira de la paix et pourra compter sur la miséricorde divine, pax super illos et misericordia » (Galat., VI, 16).

ART. III. DE L'OBLIGATION POUR LES PRÊTRES DE TENDRE A LA PERFECTION

377. Les prêtres, en vertu de leurs fonctions et de la mission qui leur incombe de sanctifier les âmes, sont obligés à une sainteté intérieure plus parfaite que les simples religieux qui n'ont pas été élevés au sacerdoce. C'est la doctrine expresse de S. Thomas, confirmée par les documents ecclésiastiques les plus authentiques (Sum. theol. IIa IIæ, q. 184, a. 8). Les Conciles, et en particulier celui de Trente (Sess. XXII, de reform. c. 1), les S. Pontifes, spécialement Léon XIII et Pie X, insistent tellement sur la nécessité de la sainteté pour le prêtre, que nier notre thèse, c'est se mettre en contradiction flagrante avec ces autorités irréfragables. Qu'il nous suffise de rappeler que Pie X, à l'occasion du cinquantième anniversaire de son sacerdoce, a publié une lettre adressée au clergé catholique, où il démontre la nécessité de la sainteté pour le prêtre, et indique avec précision les moyens nécessaires pour l'atteindre, moyens qui, pour le dire en passant, sont précisément ceux que nous inculquons dans nos Séminaires. Après avoir décrit la sainteté intérieure, il déclare que seule cette sainteté nous rend tels que l'exige notre vocation divine : des hommes crucifiés au monde, revêtus de l'homme nouveau, qui n'aspirent qu’aux biens célestes et s'efforcent par tous les moyens possibles à inculquer aux autres les mêmes principes.
378. Le Code a sanctionné ces vues de Pie X, en insistant, plus que ne l'avait fait la législation ancienne, sur la nécessité de la sainteté pour le prêtre et les moyens de la pratiquer. Il déclare nettement que « les clercs doivent mener une vie intérieure et extérieure plus sainte que les laïques, et leur donner le bon exemple par leur vertu et leurs bonnes œuvres ». Il ajoute que les Evêques doivent faire en sorte que tous les clercs s'approchent fréquemment du sacrement de Pénitence pour s'y purifier de leurs fautes ; que chaque jour ils s'appliquent un certain temps à l'oraison mentale, visitent le Saint Sacrement, récitent le chapelet en l'honneur de la Vierge Mère de Dieu, et fassent l’examen de conscience. Tous les trois ans au moins, les prêtres séculiers doivent faire une retraite pendant le temps déterminé par leur Evêque, dans une maison pieuse ou religieuse ; ils ne peuvent en être dispensés dans un cas particulier, que pour une cause grave et avec la permission explicite de l'Ordinaire. Tous les clercs, mais surtout les prêtres sont spécialement obligés à pratiquer à l'égard de leur Ordinaire le respect et l'obéissance (Can. 124-127).
D'ailleurs la nécessité pour le prêtre de tendre à la perfection se prouve : 1° par l'autorité de Notre Seigneur et de S. Paul ; 2° par le Pontifical ; 3° par la nature même des fonctions sacerdotales.

I. L'enseignement de Jésus et de S. Paul

379. 1° Notre Seigneur enseigne éloquemment, par ses exemples aussi bien que par ses paroles, la nécessité de la sainteté pour le prêtre.
A) Il donne l'exemple. Lui, qui dès le début était plein de grâce et de vérité, a voulu se soumettre dans la mesure où il le pouvait, à la loi du progrès : « Il progressait, nous dit Saint Luc, en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes : proficiebat sapientia et ætate et gratia apud Deum et homines » (Luc, II, 52). Et, pendant trente ans, il s'est préparé à son ministère public par la pratique de la vie cachée, avec tout ce qu'elle entraîne : prière, mortification, humilité et obéissance. Trois mots résument trente ans de la vie du Verbe incarné : « Erat subditus illis » (Luc, II, 51). Pour prêcher avec plus d'efficacité les vertus chrétiennes, il a commencé par les pratiquer : « coepit facere et docere » (Act., I, 1) ; si bien qu'il aurait pu dire de toutes les vertus ce qu'il a dit de la douceur et de l'humilité : « discite a me, quia mitis sum et humilis corde » (Matth., XI, 29). Aussi, à la fin de sa vie, il déclare en toute simplicité qu'il se sanctifie et se sacrifie (le mot sanctifico a ce double sens) pour que ses apôtres et ses prêtres, leurs successeurs, se sanctifient en toute vérité : « Et pro eis ego sanctifico meipsum ut sint et ipsi sanctificati in veritate » (Joan., XVII, 19). Or le prêtre est le représentant de Jésus-Christ sur terre, un autre Christ : « pro Christo ergo legatione fungimur » (II Cor., V, 20). Donc, nous aussi nous devons tendre sans cesse à la sainteté.
380. B) C'est du reste ce qui résulte des enseignements du Maître pendant les trois années de sa vie publique, son grand œuvre est la formation des Douze : c'est son occupation habituelle, la prédication aux foules n'étant qu'un accessoire, et, pour ainsi dire, un modèle de la façon avec laquelle ses disciples devront prêcher. De là découlent les conclusions suivantes :
a) Les enseignements si élevés sur la béatitude, la sainteté intérieure, l'abnégation, l'amour de Dieu et du prochain, la pratique de l'obéissance, de l'humilité, de la douceur et de toutes les autres vertus si souvent inculquées dans l'Evangile, s'adressent sans doute à tous les chrétiens qui aspirent à la perfection, mais avant tout aux Apôtres et à leurs successeurs : ce sont eux en effet qui sont chargés d’enseigner aux simples fidèles ces grands devoirs, et cela par l'exemple, encore plus que par la parole ; c’est ce que le Pontifical rappelle aux diacres : « Curate ut quibus Evangelium, ore annuntiatis, vivis operibus exponatis ». Or, de l'aveu de tous, ces enseignements forment un code de perfection et de très haute perfection. Les prêtres sont donc obligés, par devoir d'état, à se rapprocher de la sainteté.
381. b) C'est tout particulièrement aux Apôtres et aux prêtres que s'adressent ces exhortations à une perfection plus grande contenue en maintes pages de l'Evangile : « Vous êtes le sel de la terre... vous êtes la lumière du monde : Vos estis sal terræ... Vos estis lux mundi » (Matth., V, 13-14). La lumière, dont il est ici question, ce n'est pas seulement la science, c'est encore et surtout l'exemple qui éclaire et entraîne plus que la science : « Que- votre lumière brille devant les hommes, pour que, voyant vos bonnes œuvres, ils glorifient votre Père qui est dans les cieux : Sic luceat lux vestra coram hominibus, ut videant opera vestra bona, et glorificent Patrem vestrum qui in cælis est » (Matth., V, 16). C'est à eux aussi et d'une façon spéciale que s'adressent les conseils sur la pauvreté et la continence, parce que, en vertu de leur vocation, ils sont obligés de suivre Jésus Christ de plus près et jusqu'au bout.
382. c) Enfin il est une série d'enseignements qui directement et explicitement sont réservés aux apôtres et à leurs successeurs, ce sont ceux qu'il donne aux Douze et aux Soixante-douze, en les envoyant prêcher en Judée, et ceux qu'il a prononcés à la dernière Cène. Or ces discours contiennent un code de perfection sacerdotale si élevée qu'il en résulte pour les prêtres un devoir absolu de tendre sans cesse à la perfection. Ils devront en effet pratiquer le désintéressement absolu, l'esprit de pauvreté, et la pauvreté effective se contentant du nécessaire, le zèle, la charité, le dévouement complet, la patience et l'humilité au milieu des persécutions qui les attendent, la force pour confesser le Christ et prêcher l'Evangile envers et contre tous, le détachement du monde et de la famille, le portement de croix, l'abnégation complète (Matth., X, XI ; Luc, IX, X…).
383. A la dernière Cène (Joan., XIV, XVII), il leur donne ce commandement nouveau qui consiste à aimer ses frères comme il les a aimés, c'est-à-dire, jusqu'à l'immolation complète ; leur recommande une foi vive, une confiance absolue en la prière faite en son nom ; l'amour de Dieu se manifestant par l'accomplissement des préceptes ; la paix de l'âme pour recueillir et goûter les enseignements du Saint-Esprit ; l'union intime et habituelle avec Jésus lui-même, condition essentielle de sanctification et d'apostolat ; la patience au milieu des persécutions du monde, qui les haïra comme il a haï le Maître ; la docilité au Saint-Esprit qui viendra les consoler dans leurs tribulations ; la fermeté dans la foi et le recours à la prière au milieu des épreuves : en un mot les conditions essentielles de ce que nous appelons aujourd'hui la vie intérieure ou la vie parfaite. Et il termine par cette prière sacerdotale, si pleine de tendresse, où il demande à son Père de garder ses disciples comme il les a lui-même gardés pendant sa vie mortelle ; de les préserver du mal, au milieu de ce monde qu'ils doivent évangéliser, et de les sanctifier en toute vérité. Cette prière, il la fait non seulement pour les Apôtres eux-mêmes, mais aussi pour tous ceux qui croiront en lui, afin qu'ils soient toujours unis par les liens de la charité fraternelle, comme sont unies les trois divines personnes, et qu'ils soient tous unis à Dieu et tous unis au Christ « afin que l'amour dont vous m'avez aimé soit en eux, et que je sois moi aussi en eux ».
N'est-ce pas là tout un programme de perfection, tracé à l'avance par le Souverain Prêtre, dont nous sommes les représentants sur terre ? Et n'est-il pas consolant de voir qu'il a prié pour que nous puissions le réaliser ?
384. 2° Aussi Saint Paul s'inspire de cet enseignement de Jésus, quand il décrit à son tour les vertus apostoliques. Après avoir remarqué que les prêtres sont les dispensateurs des mystères de Dieu, ses ministres, les ambassadeurs du Christ, les médiateurs entre Dieu et les hommes, il énumère, dans les Epîtres Pastorales, les vertus dont doivent être ornés les diacres, les presbytres et les évêques. Il ne leur suffit pas d'avoir reçu la grâce de l'ordination, ils doivent la ressusciter, la faire revivre, de peur qu'elle ne diminue : « Admoneo te ut resuscites gratiam quæ est in te per impositionem manuum mearum » (II Tim., I, 6). Les diacres doivent être chastes et pudiques, sobres, désintéressés, discrets et loyaux, sachant gouverner leur maison avec prudence et dignité. Plus parfaits encore doivent être les presbytres et les évêques (Tit., I, 7-9) : leur vie doit être tellement pure qu'ils soient irréprochables ; ils doivent donc combattre avec soin l'orgueil, la colère, l'intempérance, la cupidité, et cultiver les vertus morales et théologales, l'humilité, la sobriété, la continence, la sainteté, la bonté, l'hospitalité, la patience, la douceur, et par dessus tout la piété, qui est utile à tout, la foi et la charité (I Tim., VI, 11). Il faut même donner l'exemple de ces vertus, et par conséquent les pratiquer à un degré élevé : « In omnibus teipsum præbe exemplum bonorum operum » (Tit., II, 7). Toutes ces vertus supposent à la fois une certaine perfection déjà acquise, et de plus un effort généreux et constant vers la perfection.

II. L'autorité du Pontifical

385. Il serait facile de montrer que les Pères en commentant l'Evangile et les Epîtres, ont développé et précisé ces enseignements ; nous pourrions même ajouter qu'ils ont écrit des Lettres et des Traités entiers sur la dignité et la sainteté du sacerdoce. Mais, pour ne pas être trop long, nous nous bornerons à invoquer l'autorité du Pontifical qui est comme le Code sacerdotal de la Loi Nouvelle, et contient le résumé de ce que l'Eglise catholique demande de ses ministres. Ce simple exposé montrera quel haut degré de perfection est requis pour les Ordinands et à plus forte raison pour les prêtres du ministère.
386. 1° Au jeune tonsuré, l'Eglise demande le détachement universel de tout ce qui est un obstacle à l'amour de Dieu, et l'union intime avec Notre Seigneur, pour combattre les inclinations du vieil homme et revêtir les dispositions du nouvel homme. Le Dominus pars, qu'il doit réciter chaque jour, lui rappelle que Dieu, et Dieu seul est sa portion, son héritage, et que tout ce qui ne peut pas se rapporter à Dieu doit être foulé aux pieds. L'Induat me lui montre que la vie est un combat, une lutte contre les inclinations de la mauvaise nature, un effort pour cultiver les vertus surnaturelles plantées dans notre âme au jour de notre Baptême, Ainsi, dès le début, c'est l'amour de Dieu qui lui est proposé comme but, le sacrifice comme moyen, avec l'obligation de perfectionner ces deux dispositions pour avancer dans la cléricature.
387. 2° Avec les Ordres Mineurs, le clerc reçoit un double pouvoir, l'un sur le corps eucharistique de Jésus, l'autre sur son corps mystique, c'est-à-dire sur les âmes ; et on lui demande, outre le détachement, un double amour, l'amour du Dieu des tabernacles, et l’amour des âmes, qui l'un et l'autre supposent le sacrifice.
Ainsi, comme portier, il se détache des occupations domestiques pour devenir le gardien attitré de la maison de Dieu et veiller à la décence du lieu saint et des ornements sacrés. Lecteur, il se détache des études profanes pour se plonger dans la lecture des Saints Livres et y puiser cette doctrine qui l'aidera à se sanctifier et à sanctifier les autres. Exorciste, il se détache du péché et de ses restes pour échapper plus sûrement à l'empire du démon ; acolythe, il se détache des plaisirs sensuels pour pratiquer déjà cette pureté que requiert le service des autels. En même temps son amour pour Dieu se fortifie : il aime le Dieu du tabernacle dont il est le gardien, il aime le Verbe caché sous l'écorce des lettres dans la Sainte Ecriture, il aime Celui qui commande aux esprits mauvais, il aime Celui qui s'immole sur l'autel. Et cet amour s'épanouit en zèle : il aime les âmes qu'il est heureux de porter à Dieu par la parole et l'exemple, d'édifier par ses vertus, de purifier par ses exorcismes, de sanctifier par la part qu'il prend au Saint Sacrifice. Ainsi il avance peu à peu vers la perfection.
388. 3° Le sous-diacre, en se consacrant définitivement à Dieu, s'immole par amour pour Lui, préludant ainsi, comme le fit autrefois la Sainte Vierge, au sacrifice plus noble qu'il offrira plus tard au saint autel : præludit meliori quam mox offeret hostiam. Il immole son corps par le vœu de continence, son âme par l'obligation de réciter chaque jour la prière publique. La continence suppose la mortification des sens extérieurs et intérieurs, de l'esprit et du cœur ; la récitation de l'Office demande l'esprit de recueillement et de prière, l'effort soutenu pour vivre uni à Dieu. L'un et l'autre devoir ne se peut fidèlement accomplir sans un ardent amour pour Dieu, qui seul peut défendre le cœur contre les attraits de l'amour sensible, et ouvrir son âme à la prière par le recueillement intérieur. C'est donc encore le sacrifice et l'amour que l'Eglise réclame du sous-diacre: sacrifice plus profond que celui qu'il avait fait jusque là : car la pratique de là continence pendant toute la vie demande à certains jours des efforts héroïques, et habituellement un esprit constant de vigilance, d'humble défiance de soi-même et de mortification ; sacrifice irrévocable, et pour que ce sacrifice soit possible et durable, il y faut mettre beaucoup de charité : seul l'amour intense de Dieu et des âmes peut préserver de l'amour profane, seul il peut faire goûter les charmes de la prière perpétuelle, en orientant nos pensées et nos affections vers Celui qui seul peut les fixer. Aussi le Pontife invoque sur lui les sept dons du Saint Esprit, pour qu'il puisse accomplir les devoirs austères qui lui sont imposés.
389. 4° Aux diacres, qui deviennent les coopérateurs du prêtre dans l'oblation du saint Sacrifice, le Pontifical demande une pureté plus parfaite encore. Et, parce qu'ils ont le droit de prêcher l'Evangile, on leur demande de le prêcher d'exemple encore plus que de bouche. Leur vie doit donc être une traduction vivante de l'Evangile, et par là même une imitation constante des vertus de Notre Seigneur. Aussi, en priant pour que le Saint Esprit descende sur eux, avec tous ses dons, et surtout celui de force, le Pontife adresse à Dieu cette belle prière : « Abundet in eis totius forma virtutis, auctoritas modesta, pudor constans, innocentiæ puritas, et spirituatis observantia disciptinæ ». N'est-ce pas là demander pour eux la pratique des vertus qui conduisent à la sainteté ? Dans la prière finale, l'Evêque demande en effet qu'ils soient ornés de toutes les vertus : « virtutibus universis... instructi ».
390. 5° Et cependant il exige plus encore du prêtre. Parce qu'il offre le saint sacrifice de la messe, il faut qu'il soit victime en même temps que sacrificateur ; il le sera en immolant ses passions ; il le sera en renouvelant sans cesse en lui l'esprit de sainteté. Pour cela il méditera jour et nuit la loi de Dieu, pour l'enseigner aux autres et la pratiquer lui-même, et donner ainsi l'exemple de toutes les vertus chrétiennes. Et, comme il doit aussi se dépenser pour les âmes, il pratiquera la charité fraternelle sous forme de dévouement ; comme Saint Paul, il se dépensera complètement pour les âmes : « omnia impendam et superimpendar ipse pro animabus vestris » (II Cor., XII, 15). C'est du reste ce qui va ressortir des fonctions sacerdotales que nous allons exposer.
391. Ainsi donc, à chaque nouvelle étape vers le sacerdoce, le Pontifical demande plus de vertu, plus d'amour et de sacrifice ; et, quand il arrive au sacerdoce, c'est la sainteté qu'il réclame, nous dit Saint Thomas, afin que le prêtre puisse offrir dignement le saint sacrifice et sanctifier les âmes qui lui sont confiées. L'Ordinand est libre d'avancer ou de ne pas avancer; mais, s'il reçoit les ordres, c'est qu'il accepte évidemment les conditions si explicitement posées par le Pontife, c'est-à-dire l'obligation de tendre à la perfection, obligation qui, loin d'être diminuée par l'exercice du saint ministère, ne fait que devenir plus pressante, comme nous allons le montrer.

III. La nature des fonctions sacerdotales exige la sainteté

392. Au témoignage de l'Apôtre Saint Paul, le prêtre est médiateur entre l'homme et Dieu, entre la terre et le ciel : choisi parmi les hommes pour être leur représentant, il doit être agréé de Dieu, appelé par Lui, pour avoir le droit de paraître devant Lui, de lui offrir les hommages des hommes et en obtenir des bienfaits (Hebr., V, I, 4). Ses fonctions peuvent se ramener à deux principales : il est le Religieux de Dieu, chargé de le glorifier au nom du peuple chrétien tout entier ; il est un Sauveur, un Sanctificateur d'âmes, ayant la mission de collaborer avec Jésus-Christ à leur sanctification et à leur salut. Or, à ce double titre, il doit être un saint, et par conséquent tendre sans cesse à la perfection, puisque jamais il n'atteint complètement la plénitude de sainteté que réclament ses fonctions.

1° Le prêtre, religieux de Dieu, doit être saint

393. En vertu de sa mission, le prêtre doit glorifier Dieu au nom de toutes les créatures et plus spécialement du peuple chrétien. Il est donc vraiment, et cela en vertu du sacerdoce tel que Notre Seigneur l'a institué, le religieux de Dieu. C'est surtout par le saint sacrifice de la messe et la récitation du Saint Office qu'il s'acquitte de ce devoir ; mais toutes ses actions, même les plus communes peuvent y contribuer, comme nous l'avons dit plus haut, si elles sont faites pour lui plaire. Or cette mission ne peut être remplie convenablement que par un prêtre saint, ou du moins disposé à le devenir.
394. A) Quelle sainteté est requise pour le Saint Sacrifice ? Les prêtres de l'Ancienne Loi qui voulaient s'approcher de Dieu, devaient être saints (il s'agit surtout de la sainteté légale) sous peine d'être châtiés (Exod., XIX, 22). Pour offrir l'encens et les pains destinés à l'autel, ils devaient être saints (Levit., XXI, 6).
Combien plus saints, d'une sainteté intérieure, ceux qui offrent non plus des ombres et des figures, mais le sacrifice par excellence, la victime infiniment sainte ? Tout est saint dans ce divin sacrifice : la victime et le prêtre principal qui n'est autre que Jésus, qui, nous dit Saint Paul, « est saint, innocent, sans tache, séparé des pécheurs, et élevé au-dessus des cieux (Hebr., VII, 26) ; l'Eglise, au nom de laquelle le prêtre offre la sainte messe, et que Jésus a sanctifiée au prix de son sang : « seipsum tradidit pro ea ut illam sanctificaret... ut sit sancta et immaculata » (Ephes., V, 25-27) ; le but, qui est de glorifier Dieu et de produire dans les âmes des fruits de sainteté ; les prières et cérémonies, qui rappellent le sacrifice du Calvaire et les effets de sainteté qu'il a mérités ; la communion surtout, qui nous unit à la source de toute sainteté. N'est-il donc pas nécessaire que le prêtre qui, comme représentant de Jésus-Christ et de l'Eglise, offre cet auguste sacrifice, soit lui-même revêtu de sainteté ? Comment pourrait-il représenter dignement Jésus-Christ, au point d'être alter Christus, si sa vie était médiocre, sans aspirations vers la perfection ? Comment serait-il le ministre de l'Eglise immaculée, si son âme, attachée au péché véniel, n'avait cure de progrès spirituel ? Comment glorifierait-il Dieu, si son cœur était vide d'amour et de sacrifice ? Comment sanctifierait-il les âmes, s'il n'avait lui-même le désir loyal de se sanctifier ?
395. Comment oserait-il monter au saint autel, et réciter les prières de la messe, qui respirent les sentiments les plus purs de pénitence, de foi, de religion, d'amour, d'abnégation, si son âme y était étrangère ? Comment oser s'offrir avec la divine victime « in spiritu humilitatis, et in animo contrito suscipiamur a te, Domine », si ces sentiments étaient en contradiction avec sa vie ? Comment oser demander de participer à la divinité de Jésus « ejus divinitates esse consortes », si notre vie est toute humaine ? Comment redire cette protestation d'innocence : « Ego autem in innocentia mea ingressus sum », si on ne fait aucun effort pour se débarrasser de la poussière de mille péchés véniels délibérés ? Comment oser réciter le Sanctus, où l'on proclame la sainteté de Dieu, et consacrer en s'identifiant avec Jésus, l'auteur de toute sainteté, si on ne s'efforce pas de se sanctifier avec lui et par lui ? Comment réciter le Pater, sans se rappeler que nous devons être parfaits comme notre Père céleste ? Et l'Agnus Dei sans avoir un cœur contrit et humilié ? Et les belles prières préparatoires à la communion : « Fac me tuis semper inhærere mandatis, et a te nunquam separari permittas », si le cœur est loin de Dieu, loin de Jésus ! Et comment communier chaque jour au Dieu de toute sainteté, sans avoir le désir sincère de participer à cette sainteté, de s'en rapprocher du moins chaque jour par un effort progressif ? Ne serait-ce pas là une contradiction flagrante, un manque de loyauté, une provocation, un abus de la grâce, une infidélité à sa vocation ? Qu'on médite donc et qu'on s'applique à soi-même tout le chapitre V du 4e livre de l'Imitation (De dignitate sacramenti et statu sacerdotali).
396. B) Ce que nous avons dit de la sainte messe peut s'appliquer, en un certain sens, à la récitation de l'Office divin. C'est au nom de l'Eglise, en union avec Jésus, le grand Religieux de Dieu, et pour le peuple chrétien tout entier, que sept fois le jour nous apparaissons devant Dieu, pour l'adorer et le remercier, et pour obtenir de Lui les grâces nombreuses dont les âmes ont besoin ? Si nous prions du bout des lèvres, et non du cœur, n'entendrons-nous pas le reproche mérité que Dieu adresse aux juifs : « Ce peuple m'honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi (Matth., XV, 8 ; Is. XXIX, 13). Et les grâces que, de la même façon, nous sollicitons de la miséricorde divine, seront-elles octroyées avec abondance ?
397. De même, pour transformer nos actions ordinaires en victimes agréables à Dieu, ne faut-il pas les accomplir avec les dispositions déjà indiquées d'amour et de sacrifice (n° 309).  De quelque côté qu'on se tourne, la même conclusion s'impose : comme Religieux de Dieu, le prêtre doit viser à la sainteté ; elle s'impose aussi, s'il veut sauver les âmes.

2° Le prêtre ne peut sauver les âmes sans viser à la sainteté

398. A) Sanctifier et sauver les âmes est le devoir d'état du prêtre : quand Jésus choisit ses apôtres, c'est pour en faire des pêcheurs d'hommes (Matth., IV, 19) ; c'est pour qu'ils produisent, en eux-mêmes et dans les autres, des fruits abondants de salut (Joan., XV, 16). C'est pour cela qu'ils doivent prêcher l'Evangile, administrer les sacrements, donner le bon exemple et prier avec ferveur.
Or il est de foi que ce qui convertit et sanctifie les âmes, c'est la grâce de Dieu ; nous ne sommes, nous, que des instruments dont Dieu veut bien se servir, mais qui ne produisent de fruit que dans la mesure où ils sont unis à la cause principale, instrumentum Deo conjunctum. Telle est la doctrine de Saint Paul : « Moi, j'ai planté, Apollon a arrosé, mais Dieu a fait croître. Ainsi celui qui plante n'est rien, ni celui qui arrose ; Dieu qui fait croître, est tout (I Cor., III, 6-7). Par ailleurs il est certain que cette grâce s'obtient surtout de deux manières, par la prière et le mérite. Dans l'un et l'autre cas, nous obtenons d'autant plus de grâces que nous sommes plus saints, plus fervents, plus unis à Notre Seigneur (n° 237). Si donc notre devoir d'état est de sanctifier les âmes, cela veut dire que nous devons d'abord nous sanctifier nous-mêmes : « Pro eis ego sanctifico meipsum ut sint et ipsi sanctificati in veritate » (Joan., XVII, 19).
399. B) Nous arrivons du reste à la même conclusion, en parcourant les moyens de zèle principaux, à savoir la parole et l'action, l'exemple, la prière.
a) La parole ne produit d'effets de salut que lorsque nous parlons au nom et en la vertu de Dieu, « tanquam Deo exhortante per nos » (II Cor., V, 20). C'est ce que fait le prêtre fervent : avant de parler, il prie pour que la grâce vivifie sa parole ; en parlant, il ne cherche pas à plaire, mais à instruire, à faire du bien, à convaincre, à persuader, et, parce que son cœur est intimement uni à celui de Jésus, il fait passer dans sa voix une émotion, une force de persuasion qui saisit les auditeurs ; et, parce que, en s'oubliant, il attire le Saint Esprit, les âmes sont touchées par la grâce et converties ou sanctifiées. Un prêtre médiocre au contraire ne prie que du bout des lèvres, et, parce qu'il se recherche lui-même, il se bat les flancs et n'est souvent qu'un airain sonore ou une cymbale retentissante (I Cor., XIII, 1).
400. b) L'exemple ne peut être donné que par un prêtre soucieux de son progrès spirituel. Alors il peut en toute confiance, comme S. Paul, inviter les fidèles à l'imiter comme il s'efforce d'imiter le Christ (I Cor., IV, 16). A la vue de sa piété, de sa bonté, de sa pauvreté, de sa mortification, les fidèles se disent que c'est un convaincu, un Saint, le respectent et se sentent portés à l'imiter : verba movent, exempla trahunt. Un prêtre médiocre peut être estimé comme un brave homme ; mais on dira : il fait son métier comme nous faisons le nôtre ; son ministère sera peu ou point fructueux.
401. c) Quant à la prière, qui est et sera toujours le moyen de zèle le plus efficace, quelle différence entre le saint prêtre et le prêtre ordinaire ? Le premier prie habituellement, constamment, parce que ses actions, faites pour Dieu, sont au fond une prière ; il ne fait rien, il ne donne pas un conseil, sans reconnaître son incapacité et prier Dieu d'y suppléer par sa grâce. Dieu la lui accorde avec abondance « humilibus autem dat gratiam » (Jac., IV, 6), et son ministère est fructueux. Le prêtre ordinaire prie peu, et prie mal ; par là même son ministère est paralysé.
Ainsi donc qui veut travailler efficacement au salut des âmes doit s'efforcer de progresser chaque jour : la sainteté est l’âme de tout apostolat.

Conclusion

402. De tous ces documents il résulte que le prêtre doit avoir acquis, avant d'entrer dans le sacerdoce, un certain degré de sainteté, et qu'il doit, devenu prêtre, continuer de progresser vers une perfection plus grande.
1° Pour entrer dans le sacerdoce, il faut déjà avoir acquis un certain degré de perfection. C'est ce qui ressort de tous les textes du Pontifical que nous avons cités. Car déjà on demande au tonsuré le détachement du monde et de soi-même pour s'attacher à Dieu et à Jésus-Christ, et si l'Eglise prescrit des interstices entre les différents Ordres, c'est afin que le jeune clerc ait le temps d'acquérir successivement les différentes vertus qui correspondent à chacun d'eux. C'est ce que dit nettement le Pontifical. Voilà pourquoi on lui demande une vertu éprouvée. Or cette vertu éprouvée ne s'acquiert que par la pratique assidue des devoirs d'état, des vertus que le Pontife a soin d'indiquer à l'Ordinand dans chacune des ordinations qu'il confère. Cette vertu doit être tellement solide qu'elle ressemble à celle des vieillards (senectus sit), qui par de longs et pénibles efforts ont acquis la maturité et la constance propre à leur âge.
403. Ce n'est donc pas une vertu quelconque, nous dit S. Thomas, qui est requise pour le bon exercice des fonctions ecclésiastiques, mais c'est une vertu excellente. Nous avons vu en effet que le Pontifical demande aux Ordinands la pratique d'une foi robuste et agissante, d'une grande confiance en Dieu, d'un amour de Dieu et du prochain allant jusqu'au dévouement, sans parler des vertus morales de prudence, de justice et de religion, d'humilité, de tempérance, de force, de constance ; et ces vertus doivent être pratiquées à un degré élevé, puisque le Pontife invoque sur eux les dons du Saint Esprit qui, en complétant les vertus, nous les font pratiquer en ce qu'elles ont de parfait. Il ne suffit donc pas d'être un de ces débutants, qui sont encore exposés à retomber dans les fautes graves ; il faut, après avoir purifié son âme des fautes et des attaches, s'être affermi dans les vertus qui constituent la voie illuminative, et viser à une union de plus en plus intime avec Dieu.
404. 2° Quand une fois on est devenu prêtre, ce n'est pas le moment de s'arrêter, c'est plutôt celui d'avancer chaque jour de vertu en vertu. C'est la remarque de l'Imitation (IV, ch. 5) : « Votre fardeau n'est pas devenu plus léger ; vous êtes lié au contraire par des obligations plus étroites, et obligé à plus grande sainteté. Un prêtre doit être orné de toutes les vertus, et donner aux autres l'exemple d'une vie pure ». Outre que ne pas avancer, c'est reculer (n° 358, 359), il y a, comme nous l'avons montré en parlant des fonctions sacerdotales (n° 392 ss.) une telle obligation de se conformer à Jésus-Christ, et d'édifier le prochain que, malgré tous nos efforts, nous restons toujours au-dessous de l'idéal tracé par l'Evangile et le Pontifical. Nous devons donc nous dire chaque jour qu'il nous reste encore beaucoup à faire pour l'atteindre.
405. D'ailleurs nous vivons au milieu du monde et de ses dangers, tandis que les religieux sont protégés par leurs règles et tous les avantages de la vie commune. Si donc ils sont obligés à tendre sans cesse à la perfection, ne le sommes-nous pas autant et, plus qu'eux ? Et si nous n'avons pas, pour protéger notre vertu, les barrières extérieures qui défendent la leur, ne devons-nous pas y suppléer par une force intérieure plus grande, qui ne peut évidemment s’acquérir que par des efforts sans cesse renouvelés vers une vie meilleure ? Le monde auquel nous sommes obligés de nous mêler, tend sans cesse à rabaisser notre idéal ; il faut donc le relever constamment par un retour fréquent à l'esprit du sacerdoce.
Ce qui fait de ce progrès un devoir plus pressant, c'est que de notre degré de sainteté dépend le salut et la sanctification des âmes qui nous sont confiées : en vertu des lois ordinaires de la providence surnaturelle, un prêtre fait d'autant plus de bien qu'il est plus saint, comme nous l'avons montré, (n° 398 ss). Serait-il donc conforme à notre mission de sanctificateurs d'âmes de nous arrêter au milieu ou même au début de la voie parfaite, alors que tant d'âmes en danger de se perdre nous crient de tous côtés de leur venir en aide : « transiens... adjuva nos ? » (Act., XVI, 9). A ce cri de détresse il n'y a évidemment qu'une réponse digne d'un prêtre, c'est celle de Notre Seigneur lui-même : « Je me sanctifie et me sacrifie pour qu'ils soient sanctifiés en toute vérité » (Joan., XVII, 19).
406. Nous n'examinerons pas ici la question de savoir si le prêtre, obligé à une perfection intérieure plus grande que le simple religieux, est dans l'état de perfection. Ceci est, à vrai dire, une question de Droit canon, et elle est communément résolue par la négative, parce que le prêtre, même s'il est pasteur d'âmes, n'a pas cette stabilité que requiert canoniquement l'état de perfection. Quant au prêtre, qui est en même temps religieux, il a évidemment toutes les obligations du sacerdoce, et de plus celles de ses vœux, et il trouve dans sa règle des secours, plus abondants pour être un Saint. Mais il n'oubliera pas que son sacerdoce l'oblige à une perfection plus grande que celle de l'état religieux.
Ainsi le clergé séculier et le clergé régulier, sans jamais se jalouser, s'estimeront et se soutiendront mutuellement, n'ayant qu'un seul et même but, glorifier Dieu en lui gagnant le plus d'âmes possible, et profitant des vertus et des succès qu'ils remarqueront dans leurs frères pour s'exciter à une noble émulation (Hebr., X, 24).

 

 

MARIE

 

MA MERE.

Dom Jean-Gérard Omr 


SON IMMACULÉE CONCEPTION

Le privilège incomparable de l’immaculée conception a été voulu  par Dieu  avant tout parce qu’il convenait au plus haut point que la Mère du  Sauveur ne fût à aucun  instant sujette au  péché.  C’est la raison  principale, elle est connue. Ce n’est pas pourtant sur elle que je vais  insister.  Je me permettrais ici d’examiner ce privilège à un autre point de vue. Tout en ayant une raison principale devant les yeux,  Dieu  n’a-t-il pas eu  aussi,  dans le décret de l’immaculée conception, d’autres motifs secondaires, mais réels, entre autres de préparer à celle qui devait être la mère du genre humain un cœur particulièrement délicat et sensible. Le mot virginité a la même origine que le mot viridus,  (vert, pas mûr).  Il signifie donc de prime abord  quelque chose qui a gardé sa fraîcheur,  sa spontanéité et n’a pas été brûlé par les rayons du  soleil.  On  peut dire,  en transportant cette expression  du  matériel au spirituel, qu’une âme pure est une âme fraîche et sensible,  qu’une âme flétrie par le péché est une âme qui a été en  quelque sorte brûlée par le mal et qui, dans la mesure où le mal l’a atteinte, a perdu de sa délicatesse. L’immaculée conception, en assurant à notre Mère cette victoire totale sur le péché,  qui est son  privilège,  lui donne donc du  même coup  un  cœur infiniment délicat et sensible. Nous pouvons penser que Dieu a voulu cette conséquence de l’immaculée conception  et qu’il l’a voulue aussi pour que notre Mère soit plus sensible à nos misères et plus prompte à nous secourir.  Quelle confiance déjà cette première vérité ne va-t-elle pas nous donner ! Dans les heures où  nous souffrons,  nous cherchons du  secours,  mais il ne nous vient pas à l’esprit de le demander aux viveurs et aux jouisseurs, même s’ils ont le pouvoir de nous aider. Ce sont des âmes dures pour les autres, parce que trop tendres pour elles-mêmes.  Et même,  si elles avaient un  cœur doué de compassion,  leur manière de vivre a atténué leur capacité de percevoir la souffrance des autres; elles ne sont pas délicates.  Je vais,  au  contraire,  comme d’instinct,  vers ceux  qui s’efforcent de se détacher d’eux-mêmes.  Leur vie plus pure leur donne dans les yeux  une lumière plus profonde et au  cœur une tendresse plus grande.  «  Bienheureux? les cœurs purs car ils verront Dieu » et en Dieu toutes choses. Ceci, bien sûr, d’une manière encore imparfaite sur cette terre. Avec quel élan et quelle confiance nos âmes meurtries ne peuvent-elles pas s’adresser à la Mère de Jésus,  qui est notre Mère,  en  nous basant sur son infinie pureté et la fraîche tendresse qui en découle! Remercions Dieu  d’avoir préparé pour notre Mère un  cœur si délicat et si prévenant. 

SA SOUFFRANCE

C’est une vérité connue qu’une mère aime d’autant mieux son  enfant que celui-ci lui a coûté davantage.  Cela vient de ce que le cœur humain  s’attache beaucoup  plus en raison de ce qu’il donne que de ce qu’il reçoit. Dieu,  qui voulut que Marie soit notre protectrice,  a préparé son  cœur par l’infinie délicatesse de sa pureté,  mais aussi par la souffrance.  Marie a souffert parce qu’il convenait hautement qu’elle soit associée à la souffrance de son  divin  Fils,  mais aussi parce que cette souffrance devait la prédisposer à nous aimer davantage. Evoquons quelques-unes des douleurs dont son  cœur fut brisé,  insistons sur celles sur lesquelles très souvent on  passe trop  vite. L’enfance de Marie, d’abord. En vertu même de son  immaculée conception,  la Sainte Vierge était exempte de toute tendance au péché et élevée à un degré suréminent de l’amitié divine.  Marie Mère de Jésus, cette plénitude de grâces dans la Sainte Vierge devait la mettre dans un  état d’isolement au  milieu même de sa famille.  Sans doute ses parents étaient, à cause même de la sainteté de leur enfant,  élevés par Dieu  très haut dans son intimité.  Mais quelle distance encore! Et Marie,  en  grandissant,  devait se rendre compte qu’elle n’arrivait pas à être comprise comme elle l’aurait aimé. Mais il n’y a pas autour d’elle que ses propres parents.  Elle vivait dans une petite bourgade où  elle voisinait avec des êtres humains très mêlés au  péché.  Ce péché,  elle en  comprenait mieux  que personne et comme d’instinct, l’indicible horreur, et sa souffrance devait être extrêmement profonde.  Cette souffrance devait l’isoler du reste du monde, l’isoler de sa famille.  Isolement qu’elle s’efforçait elle- même de rendre le plus doux  possible pour les siens qui,  bien  loin  d’avoir à souffrir d’elle, ont toujours été frappés par sa vertu, sa mansuétude et sa bonté. Voici maintenant le grand jour de l’Annonciation.  Marie était l’épouse de Joseph. Conduits tous deux  par divine inspiration à une très haute vertu,  ils s’étaient,  tout en se mariant,  promis mutuelle fidélité dans la chasteté.  Les deux  époux  n’habitaient pourtant pas encore ensemble.  Le droit juif comportait,  si l’on  peut dire,  le mariage en deux  étapes.  D’abord  le contrat de mariage en vertu duquel la femme était accordée par ses parents comme épouse. Après seulement, par un  nouveau  rite,  essentiel lui aussi au mariage,  l’épouse viendra habiter dans la demeure de son mari. En attendant, la femme restait encore chez ses parents,  mais déjà promise, si elle venait à manquer de fidélité, sa faute était assimilée à l’adultère. Or, c’est pendant ce temps-là,  avant qu’elle s’en  alla habiter avec Joseph, que l’on put s’apercevoir du  mystère qui s’était opéré en  Marie. (Matthieu,  I,  18).  Plusieurs,  surtout parmi les modernes,  interprètent le verset 18 comme si Joseph  avait été averti,  avant l’intervention  de l’ange notée au  verset 20, non  seulement du  fait même de la conception,  mais de son  origine divine.  D’ailleurs si Joseph  avait vraiment su  en  même temps et le fait de la conception,  et son  origine divine,  comment expliquerait-on  l’intervention de l’ange qui vient le rassurer ? Cette interventions n’aurait pas eu  sa raison d’être.  Aussi n’est-il pas surprenant que le plus grand  nombre des interprètes,  depuis saint Jean  Chrysostome,  saint Ambroise, saint Augustin,  jusqu’à nos jours,  attribuent à saint Joseph,  au  sujet de Marie,  une véritable inquiétude. Tout en étant certain de la vertu  de Marie,  Joseph  se posait des questions   angoissantes; il   n’accusait   pas, mais il était inquiet. C’est bien pour dissiper ses craintes qu’un ange lui est envoyé : « Ne crains pas de prendre chez toi Marie ta femme, car ce qui est conçu en elle est l’ouvrage de l’Esprit-Saint »  (Matthieu,  I,  20). Ces craintes sont allées si loin  que Joseph s’est proposé de répudier sa femme,  ce qui était prévu en droit juif, mais il pensait agir en  secret,  sans éclat.  C’est alors seulement, au  moment où  Joseph  est sur le point de prendre une décision  définitive,  que la Trinité interviendra par un  ange.  Pourquoi Dieu  n’a-t-il pas parlé plus tôt ? C’était si simple d’avertir saint Joseph  en  même temps que Marie.  Ces deux  âmes qui s’aimaient profondément se seraient préparées ensemble,  dans l’allégresse,  au  grand mystère de la Nativité de Jésus.  Mais non. Dieu a voulu qu’il y ait entre Joseph et Marie des heures d’angoissante inquiétude. Joseph et Marie habitent chacun  leur demeure, mais ils se voient, ils se rencontrent dans la petite ville.  Marie se tait sur le mystère qui s’est opéré en  elle.  Des commentateurs ont trouvé surprenant qu’elle n’ait pas parlé à son  époux  de ces choses; Marie,  certes, n’est pas à l’aise et il n’est pas étonnant qu’elle ne parle pas.  Elle peut affirmer son innocence,  mais c’est tout.  A-t-elle à sa disposition  un  témoignage autre que le sien propre ? Alors, mieux vaut se taire, attendre que Dieu  lui-même parle à saint Joseph comme il lui a parlé à elle. Quelle souffrance, lorsqu’ils se rencontrent,  car la question  est là, comme un personnage sans cesse présent. Rentrés chez eux,  à leur travail,  à leurs prières,  la question  les poursuit,  lancinante. Lorsque l’ange est apparu  à Marie et lui a demandé son  consentement,  elle a réservé d’une manière expresse sa virginité : « Quomodo  fiet istud  quoniam virum non  cognosco  ? » (je ne connais point d'homme) Cette remarque est nette et précise,  mais l’ange l’a rassurée et elle a accepté avec la même simplicité avec laquelle elle venait de faire sa réserve. Et cette vertu à laquelle Marie tenait tant, la voilà mise en question aux yeux de celui dont l’affection et l’estime lui tiennent le plus à cœur. Et qui sait si,  bientôt,  la vierge fidèle ne passera pas, aux yeux du monde même, pour une femme coupable ? La répudiation  ne pourra pas toujours être tenue secrète,  on  s’en  demandera le pourquoi.  Sans doute,  dans le cœur de Marie,  la grâce s’oppose aux  tourments du désespoir et au découragement qui eussent envahi d’autres âmes.  Mais la parfaite charité de la Très Sainte Vierge n’a pas empêché qu’elle ait souffert,  et atrocement. Ne fallait-il pas un  acte de foi profonde chez Marie,  pour croire que la vision  de l’ange n’était pas l’apparition  d’un  ange de ténèbres ? Car enfin,  si c’était l’œuvre de Dieu,  comment Dieu  garderait-il le silence et     permettrait-il  pareil tourment chez celle que l’ange a saluée « pleine de grâce » ? Marie n’a pas hésité dans sa foi et dans son  amour,  mais c’était bien  la foi quand même chez elle, et non pas la vision, la foi qui adore Dieu  dans l’obscurité. 

Lorsque nos supérieurs nous demandent des sacrifices, nous aimons qu’ils nous disent le pourquoi,  et s’il leur arrive de ne pas le faire,  de garder le silence à propos d’une épreuve qu’ils nous imposent,  si parfois ils paraissent durs,  il nous arrive de ne pas comprendre.  Mais que sont nos épreuves en comparaison  de celles que nous découvrons en Marie et en Joseph? Qu’est le silence de nos supérieurs en  comparaison  du  silence de Dieu  au  milieu  de ces tragiques événements ? Nos supérieurs ne peuvent pas toujours parler,  même s’ils en  ont le désir, en  vue d’atténuer nos épreuves.  Mais Dieu  qui peut tout,  pouvait sans difficulté intervenir.  S’il ne l’a pas fait plus tôt,  c’est qu’il voulait laisser souffrir par ce silence ses amis les plus chers,  afin  de les associer pleinement et dès le début à la déréliction de son divin Fils lui-même. Au  dernier moment donc,  Joseph  est averti et c’est la joie maintenant qui inonde l’âme des époux.  Mais pour combien  de temps ? A peine cette première épreuve a-t-elle disparu  que d’autres commencent. Marie et Joseph  sont en  route pour Bethléem.  Personne ne veut les recevoir et,  après la Nativité,  il faut qu’ils s’enfuient en  Egypte.  Après le retour à Nazareth,  ce sont pour Marie les plus belles années, mais là encore l’épreuve n’a pas manqué. Marie savait que son  Fils était Dieu.  Dès lors, tout en le traitant avec la tendresse qui convient à une mère,  il y  a chez elle un respect très profond  pour celui qui est en  même temps que son  Fils,  son  Seigneur. Ce respect devait se manifester par des signes extérieurs; ces signes devaient apparaître aux yeux  des autres femmes du  village lorsque Marie,  par exemple,  s’en  allait avec son  enfant à travers les rues,  en  commissions.  Pense-t-on  que ces femmes ont compris la raison  profonde du  respect de Marie pour son Fils ? On peut bien supposer que Marie a été taxée de mère orgueilleuse et folle de son enfant. Cet isolement qui l’a enveloppée dès sa plus tendre enfance en raison  de sa propre perfection  à elle,  dont nous avons parlé plus haut,  devait s’accentuer encore à Nazareth,  à mesure que grandissait l’Enfant-Dieu.  Secrètement jalouses de Marie,  en  même temps qu’ignorantes de la divinité de Jésus,  les femmes de Nazareth  devaient rendre à Marie la vie très pénible.  Marie pouvait percevoir,  dans leurs regards,  peut-être dans leurs chuchotements sinon  dans leurs rires et leurs critiques ouvertes,  qu’on  la faisait passer pour sottement orgueilleuse et fière. Si,  du  moins,  pour compenser ces épreuves, l’amour filial de Jésus lui avait toujours apporté ces consolations sensibles que peut souhaiter un cœur maternel ! Mais ici encore, la croix devait venir, extrêmement dure. Jésus a voulu faire souffrir sa mère, non pas qu'il ne l’aimât pas plus qu’aucun  fils,  mais parce qu’il fallait que soit continuée la déréliction intérieure(Épreuve de la vie mystique).  L’Evangile ne nous signale à ce sujet qu’un  trait : celui de l’Enfant-Dieu volontairement perdu  parmi les docteurs et retrouvé après trois jours seulement d’angoissantes recherches.  «  O Fils ! pourquoi nous traiter ainsi ? » Il faut bien que Marie ait souffert pour parler ainsi à son  enfant en  cette formule qui traduit presque un reproche.  Mais Jésus répond  dans la tranquillité de sa dignité : «  Ne faut-il pas que je sois voué aux  choses de mon  père ? » C’est toujours le même procédé divin  : une dureté réelle vis-à-vis de celle qui est le plus proche de Dieu.  Cette dureté réelle va cependant de pair en Dieu avec une amitié inexprimable.  C’est là le mystère,  le même d’ailleurs que celui de Notre-Seigneur qui du haut de la croix se demande si son Père l’abandonne.  «  Ut quid  dereliquisti me ? » Les théologiens     s’efforcent     d’expliquer comment Jésus a pu  parler ainsi,  alors qu’il jouissait de la vision  béatifique même sur la croix.  Leurs explications restent obscures; il vaut mieux  s’en  tenir aux  faits tels que nous les transmet l’Evangile.  Jésus avait dans son  âme humaine la plénitude de la vision  de Dieu  et pourtant il a pu sans mentir prononcer cette parole de suprême angoisse.

Je reviens à Marie.

Elle a souffert dans son divin Fils et c’était voulu de la part de Jésus, et ces souffrances ont été, à n’en pas douter, les plus cruelles.  Celles qu’elle a endurées en  voyant Jésus crucifié ne sont pas moindres,  mais d’une autre nature.  Il est plus doux  à certains égards de souffrir par compassion  pour un  ami que de se demander si cet ami nous est fidèle.  Les trois années de vie publique sont un  tissu de souffrances pour Marie.  C’est à peine si elle voit son  divin  Fils de temps à autre : il est occupé au ministère des âmes. Elle le reverra surtout dans sa Passion,  elle pourra l’assister dans ses derniers moments et recevoir de lui cette parole dont saint Bernard dit qu’elle fut un  glaive : «  Femme,  voilà votre fils ».  Un  homme simplement,  à la place d’un Dieu, un cœur de pierre à la place du  cœur si aimant de Jésus.  Nous voilà devenus les enfants de la Très Sainte Vierge, dans cette heure où Jésus prend congé d’elle et lui fait en  quelque sorte son  testament. Dorénavant Marie,  qui est encore relativement jeune, a sa vie brisée, sa raison d’être humainement est finie.  Mais il faut qu’elle reste pour préparer l’Eglise,  assister les apôtres.  Nous la verrons vivant avec saint Jean,  assistant à la messe de l’apôtre,  recevant de saint Jean la Sainte Eucharistie. Son divin  Fils,  elle ne le voit plus que sous le voile de la foi, son existence se poursuit dans le silence de la prière et du sacrifice, elle reste dans l’obscurité voulue où  Dieu  l’a placée jusqu’à l’heure où  son  divin  Fils viendra la reprendre pour la couronner définitivement. Oui, Marie a souffert. Elle a été privilégiée plus que tous,  mais ses souffrances ont dépassé toutes les autres aussi. Elle a mérité amplement son  titre de Mère des douleurs, et nous ne méditerons jamais assez sur la part de souffrances qui lui est venue de la Trinité elle-même et de son divin Fils. Dieu l’a fait souffrir volontairement alors qu’il eût été si facile d’empêcher cette souffrance. Pouvons-nous penser que Marie ne se soit pas rendue compte du pourquoi de cette souffrance? Elle savait à n’en pas douter que c’était pour nous et qu’il fallait qu’elle fût associée à la croix  de son  Fils et qu’elle passât par sa déréliction.  C’était voulu  pour qu’elle contribuât à expier le péché,  déréliction  effroyable de l’homme qui s’écarte de Dieu. La déréliction de Dieu qui cesse de faire sentir sa présence est le contre poids dans l’âme du  juste de la déréliction  du pécheur qui s’écarte de Dieu. Même si cette souffrance en  Marie et dans les saints est justifiée pour réparer le péché,  elle a été voulue aussi pour former le cœur de notre Mère.  On  aime un  enfant dans la mesure où on a souffert pour lui, on s’attache au fils de tant de larmes.  Comment Marie n’aimerait-elle pas nos pauvres âmes,  quelle confiance n’aurions-nous donc pas en elle quand nous considérons ce que nous lui avons coûté ? Nos fautes, bien loin de l’écarter de nous,  lui sont un  motif de plus pour nous venir en aide, parce qu’elle a souffert à cause de nos péchés.  Elles sont aussi,  bien  sûr, un  motif pour nous de ne jamais hésiter à l’appeler à notre aide,  puisque nous savons que notre Mère a tant souffert pour nous. Mais il y  a une autre pensée encore que nous suggèrent la souffrance de Marie et nos péchés,  et celle-là surtout vaut la peine que nous insistions. Les théologiens se demandent si le Fils de Dieu  se serait fait homme,  à supposer que l’homme n’eût pas péché,  et nous connaissons leur réponse.  Les uns disent oui,  les autres non.  Toujours est-il que, de fait, c’est bien pour notre salut que le Fils de Dieu s’est fait homme, «  propter nostram salutem ».  Il reste certain  qu’en réalité,  dans l’ordre concret des choses, l’incarnation  a été voulue pour réparer le péché.  Saint Thomas,  d’ailleurs,  semble concilier les deux  opinions rappelées ci- dessus : il déclare que si l’incarnation a été voulue pour réparer le péché, on peut penser que Dieu  n’aurait pas permis le péché s’il n’avait pas prévu  qu’il pourrait le réparer d’une manière si admirable. L’Incarnation est donc, de fait, ordonnée à la Rédemption.  Cela veut dire que nos péchés ont été l’occasion  de l’incarnation, l’occasion  de la gloire incomparable et des privilèges de la Très Sainte Vierge, car si le Fils de Dieu  ne s’était pas fait homme,  il n’y  aurait pas eu  de maternité divine de Marie. Nous pouvons donc affirmer que nos fautes ont été comme le tremplin  qui a permis à la Sainte Vierge de s’élever si haut dans l’amitié divine.  Nos fautes ne sont pas la causé de son triomphe, de sa sainteté, mais l'occasion, et c’est beaucoup. Ne s’en rend-elle pas compte mieux  que nous ? Evidemment,  et nous ne lui apprendrons rien  en  insistant dans nos prières sur cette vérité. Nous ne pouvons que lui faire plaisir en  lui faisant voir que nous nous rendons compte de cette relation  étroite qu’il y  a entre nos pauvres misères et sa pureté sans tache,  entre notre fragilité et sa toute-puissante bonté. Nous ne l’invoquerons donc pas malgré nos misères,  mais à  cause de nos misères,  parce qu’elle est mère et que la mère s’intéresse à l’enfant qui souffre plus qu’aux  autres et parce que sa maternité lui est venue à l’occasion  de notre misère. Y a-t-il un  pécheur sur terre qui puisse raisonnablement hésiter à se confier à cette mère ? Nos fautes, sans doute, lui répugnent comme le péché,  parce que c’est l’offense à Dieu  et c’est l’ingratitude,  mais cela ne l’empêche pas de venir à nous avec une tendresse inexprimable,  parce qu’elle voit dans nos fautes l’occasion de sa gloire. Et c’est Dieu qui a ordonné toutes choses ainsi. Quelle délicatesse dans la Trinité vis-à-vis de l’homme! Pour nous donner confiance, il fait de notre misère l’occasion des privilèges de celle qui va être chargée de nous aider.  La délicate bonté qui est dans le cœur de Marie et dans le cœur de Jésus n’est qu’une image encore très faible de l’infinie tendresse de Dieu lui-même. Dieu  donc a préparé merveilleusement celle qui devait être notre Mère. Il a disposé les événements pour que Marie soit portée par un  amour irrésistible à nous venir en aide, Il l’a faite pure entre toutes ses créatures afin  que la délicatesse de son  âme soit la plus parfaite et qu’elle ressente,  pour y compatir, la douleur et la misère mieux que personne.  L’ayant créée si capable de souffrir, il lui impose la souffrance la plus dure, la plus humiliante,  la plus pénétrante,  celle qui dissocierait la moelle d’avec les os.  Il faut que la Mère du  genre humain  souffre plus que tous les autres pour expier et pour aimer.  Et pour que notre misère soit encore plus capable d’inspirer à Marie son dévouement,  voilà que Dieu  en  fait l’occasion  de la gloire de Marie.  Le plan  de Dieu  est parfait, il a préparé notre Mère en la rendant capable presque à l’infini de nous aimer,  à cause même de nos souffrances et de nos misères. 

  Maintenant  ensemble  voyons la  mission  de  la  Très Sainte Vierge.

 J'ai indiqué  ce que nous sommes en  droit d’attendre de la Sainte Vierge : qu’elle nous aide en  somme à grandir,  qu’elle s’occupe de notre éducation  surnaturelle,  c’est son rôle providentiel, c’est sa mission spécifique, son devoir professionnel, si nous osons nous exprimer ainsi. C’est si vrai que, à supposer qu’elle puisse se désintéresser de nous,  elle manquerait à son  devoir principal à notre égard.  Façon  de parler,  bien  sûr,  puisqu’il ne peut pas être question  chez Marie de manquer à ses obligations,  mais il est bon de nous redire sous mille formes diverses que nous sommes pour elle l’enfant qu’elle a charge d’élever,  et que notre vie surnaturelle ne pourra croître que par elle. Essayons pour cela d’entrer dans quelques détails et voyons comment la Sainte Vierge va nous apprendre à nous nourrir, à parler, à marcher,  à nous donner à nos frères.  Un enfant dont les forces ont grandi par une nourriture bien assimilée, qui sait parler, qui sait marcher,  et dont le cœur est droit,  est un enfant bien élevé, dont la mère peut être fière.  Ces différentes tâches appartiennent au rôle maternel. Voyons-les en détail en ce qui concerne notre vie surnaturelle.  Notre nourriture surnaturelle est l’Eucharistie. Nous le savons,  nous nous efforçons d’en vivre. Mais n’avons-nous pas à déplorer l’insuffisance de nos préparations,  de nos actions de grâces ? Mille distractions nous assaillent et indépendamment de cela nos âmes ne sont pas assez dépouillées d’elles- mêmes pour saisir toute la signification  du don  eucharistique.  Et pourtant c’est par l’Eucharistie que nous devons nous assimiler la vie de Jésus, sa manière d’être, sa manière de penser et d’aimer.  Persuadés de l’excellence de cette nourriture divine,  de notre déplorable indigence,  nous sommes comme les infirmes dont l’estomac est délabré et que l’on  place en  présence d’une table abondante.  Ce n’est pas tout d’avoir devant soi la nourriture,  ce n’est pas tout d’avoir soi-même la volonté de s’en  servir,  il y  a une question  de dispositions intérieures. Il faut que l’organisme soit adapté,  préparé, sans quoi la meilleure nourriture ne porte pas de fruits.  Sans doute,  le Sauveur Jésus lui-même à qui nous crions notre indigence, peut disposer nos âmes à l’accueillir,  à le comprendre,  à vivre de lui,  mais n’est-il pas bien consolant de penser que nous avons à notre secours aussi, de par la volonté même de Jésus,  une Mère,  dont le rôle spécifique est de nous nourrir, et d’adapter notre organisme si faible à cette nourriture supra- substantielle.  Quelle plus belle préparation à la sainte messe,  à la sainte communion, que celle qui consiste à implorer d’abord la Très Sainte Vierge pour qu’elle remplisse à notre endroit cette tâche spécifiquement maternelle de la maman  qui prépare la nourriture de son  enfant ? Demandons-lui qu’elle nous obtienne l’appétit surnaturel, le désir de l’Eucharistie,  ce goût des choses célestes qui n’est pas une tendance simplement sentimentale,  mais quelque chose qui, procédant d’abord  de notre intelligence et de notre volonté,  nous prenne tout entiers et nous fasse vraiment désirer de mieux aimer Notre-Seigneur, et pour cela de mieux le connaître.  Demandons-lui aussi d’intercéder auprès de son  divin  Fils pour qu’il se penche avec miséricorde sur notre misère. Sans doute,  il nous a aimés le premier, avant que sa Mère l’en ait prié,  puisque tout l’amour qui est dans le cœur de sa Mère pour lui et pour nous vient de la Trinité Sainte.  Mais Jésus aime à se faire prier par sa Mère en notre faveur, et demander à Marie qu’elle appuie notre prière auprès du  Maître pour que notre communion  soit plus intime,  c’est certainement prier dans la ligne voulue par Dieu. D’ailleurs, en demandant à Marie de nous préparer à la messe et à la communion, nous n’avons garde d’oublier qu’elle-même a vécu pendant longtemps de la vie eucharistique. Après l’Ascension, Jésus n’était plus présent à sa Mère que par l’Eucharistie.  Essayons de nous faire une idée de l’intimité de ces rencontres entre la Mère et l’Enfant par la Cène. Marie, qui n’a vécu que pour son Fils, est brûlée du  désir de se voir réunie à lui dans la pleine lumière du ciel. Ce désir consumera sa vie,  mais plusieurs années vont se passer sans que le bon  Dieu  exauce ce vœu  intime et ardent de la Mère de Jésus. Elle restera sur la terre pour affermir les premiers pas des apôtres, veillant sur l’Eglise naissante.  Ce sera pour elle à la fois une grande joie que de représenter son  Fils auprès de saint Jean  : «  Fils,  voilà votre Mère », et une souffrance que de ne pouvoir monter plus haut vers lui.  Mais cette souffrance de la séparation,  une lumière bien douce vient la tempérer.  Jésus est là,  dans son  être tout entier,  le même qui est né à Bethléem, qui est mort sur la croix, il est là par le ministère du  prêtre,  et Marie aura le bonheur de communier de la main  des apôtres.  Qui dira l’intense émotion  de la Mère qui retrouve son Fils par ce mystérieux sacrement,  l’émotion  aussi de l’apôtre qui mesure à la fois la sublimité de son  rôle et l’indignité de sa personne ? Le prêtre devenant en  quelque sorte comme une nouvelle mère pour Jésus,  continuant l’œuvre de Marie et nourrissant, sa Mère de cette nourriture divine. Mais revenons à Marie et contemplons en silence sa messe et sa communion. C’est vraiment le ciel commencé et chaque fois que la sainte liturgie s’accomplira, Marie apprendra aux  prêtres et aux  fidèles le sens et la portée de ce grand  mystère d’amour, et ici une réponse à toutes les nouvelles idées: "Pourquoi pas des femmes prêtres" la réponse est là, présente à nos yeux, Marie la Mère Divine de Jésus n'était pas prêtre… alors la réponse est claire non pas de femme au sacerdoce! Comment mieux  nous unir à notre tour au  divin Sauveur qu’en  suppliant notre divine Mère de nous donner à nous un peu de cette charité ardente qui brûle son  cœur et le dispose d’une manière si merveilleuse à s’unir à la divine Victime présente sur l’autel? Depuis des siècles, par le Rosaire, nous prions la Sainte Vierge, en enveloppant la prière vocale dans le souvenir des grands mystères de l’Incarnation  et de la Rédemption.  J'ai pris une habitude qui m'est très chère : notre chapelet.  Pourquoi,  les jours surtout où  nous nous sentons fatigués,  peu disposés à la réflexion,  à l’effort,  et l’âme comme desséchée,  peut-être même comme détournée de la prière,  pourquoi ne prendrions-nous pas notre chapelet et, en pensant à tout ce que les mystères joyeux, douloureux et glorieux permettent d’appliquer à l’Eucharistie,  ne dirions-nous pas pour préparer notre âme,  pour achever notre action  de grâces, une ou deux dizaines de chapelet ? Il ne s’agit pas de faire de notre préparation eucharistique et de notre action  de grâces uniquement une prière verbale,  bien  loin  de là. Mais cette prière tout enfantine, si simple, toujours possible,  jointe à la méditation  des mystères,  nous semble particulièrement apte à opérer en  nous la vraie disposition  à bien communier,  à bien  remercier le Sauveur. Cette prière verbale nous disposera à laisser parler,  après, notre cœur d’une manière plus personnelle; nous aurons demandé à notre Mère qu’elle nous apprenne à nous nourrir, et elle accomplira sa mission,  elle nous disposera à la Sainte Eucharistie. Qu’il s’agisse des mystères joyeux, douloureux  ou  glorieux,  tous s’adaptent à cette préparation  eucharistique et à l’action  de grâces.  Les mystères joyeux,  c’est d’abord l’Annonciation.  Il nous est dit chaque matin que nous allons recevoir Jésus dans notre cœur, c’est aussi l’Annonciation. Et comment mieux  préparer notre âme pour l’accueil de cet Hôte divin  qu’en  suppliant la Mère de Jésus de nous donner les sentiments qu’elle a exprimés par son fiat si généreux? La Visitation,  c’est Marie qui porte Jésus à Elisabeth  et à Jean-Baptiste,  et le prêtre vient à nous avec l’Eucharistie.  Ce n’est pas tant nous qui allons à Jésus que Jésus qui vient à nous par l’Eglise et son  prêtre. C’est parce que Jésus a voulu que le sacerdoce couvrît la terre entière,  que les tabernacles se multiplient jusque dans les villages les plus reculés du monde, que nous pouvons le recevoir. (Mgr Pierre-Martin Ngo Dinh-Thuc passé des heures entière devant le tabernacle). C’est bien lui qui vient à nous par sa Mère qui disposera notre cœur.  Demandons à Marie qu’elle accomplisse sa mission  auprès de nous,  comme elle l’a accomplie pour sainte Elisabeth et saint Jean-Baptiste. La Nativité de Notre-Seigneur, c’est la transsubstantiation, le centre même de la messe, et c’est aussi la communion.  Prêtres et fidèles, chacun à notre manière nous pouvons tirer de cette similitude les raisons profondes d’invoquer Marie pour que l’attention de notre esprit et l’ardeur de notre cœur soient autant que possible semblables aux siennes, à cette heure incomparablement belle de la première rencontre visible de Jésus et de sa Mère. La Présentation  au  temple nous suggère de nous offrir en reconnaissance, en expiation, pour continuer le sacrifice de Jésus et de Marie.  L’essentiel,  dans un  sacrifice,  c’est sans doute la victime,  mais c’est aussi la disposition  de celui qui offre : «  animus donantis » (intention de donner). Dans la parabole de l’obole de la veuve, Jésus nous fait bien  sentir que cet «animus donantis » (intention de donner) est même le principal. C’est lui qui est prêtre et victime,  mais il veut que nous nous associions à son sacrifice,  et qui a mieux  réalisé cette assimilation  que Marie,  offrant son  divin  Fils au temple ? Le recouvrement de Jésus au  temple suggérera aussi bien  des réflexions consolantes et salutaires.  Nous avons retrouvé Jésus,  ne le perdons plus,  restons dans son intimité.  Demandons à Marie que par la grande souffrance qu’elle a ressentie après avoir perdu Jésus : « Fili, quid fecisti nobis sic »( mon enfant pourquoi..),  elle nous obtienne à nous de souffrir de nos péchés qui nous détournent du Sauveur et de ne plus le perdre lorsque nous l’avons retrouvé. Les mystères douloureux  ont leurs rapports aussi,  et combien  suggestifs,  avec l’Eucharistie.  Si la messe représente Noël, si l’autel rappelle la crèche,  le corporal les langes,  si le prêtre élevant l’hostie rappelle Marie élevant l’Enfant au-dessus de la tête des bergers et des Mages,  chacun  voit que l’Eucharistie est encore davantage le mémorial de la croix et de la mort du Sauveur, le sacrifice du  Calvaire continué.  La croix domine l’autel et le corporal rappelle aussi le linceul où sera enveloppé le corps exsangue du  Sauveur.  L’hostie brisée et la présence réelle sous les deux  espèces symbolisent le martyre du  Sauveur et sa mort.  Méditer sur ces mystères,  depuis la condamnation de Jésus jusqu’à sa mort,  en  compagnie de Marie,  pour demander qu’elle fasse entrer dans notre cœur une plus parfaite compréhension du péché et de notre rôle de réparateurs, c’est aussi nous disposer à bien  communier, à bien  nous assimiler ce mémorial par excellence de la croix et de la mort de Jésus, « o memoriale mortis Domini. » Nous avons rappelé plus haut quelques-unes des souffrances de Marie. Nous pouvons bien  penser que,  sur le Calvaire,  seule avec saint Jean  devant Jésus qui expirait,  la Vierge des douleurs a récapitulé toutes les souffrances de Jésus et toutes les siennes propres,  elle les a toutes réunies en  un suprême hommage pour les unir à celles de son  divin  Fils.  Elle n’a pas pu  ne pas voir avec quelle persévérante ténacité,  si l’on peut dire,  la Trinité avait organisé toutes choses,  par son  silence,  par la permission laissée aux forces du  mal de s’attaquer à Jésus,  pour que lui et elle souffrissent les plus atroces tourments. Cette volonté divine, elle l’adore, elle la remercie, elle est au fond de son  cœur,  heureuse d’expier avec Jésus pour les péchés du  monde,  de restituer au Père la gloire ravie en  quelque sorte par le péché.  La volonté divine est pour Marie, toujours,  parfaitement aimable,  même à l’heure où  elle ne comprend  pas,  où  elle répète avec Jésus : « Père, pourquoi m’avez- vous abandonné! » A  l’heure  où,  sous  l’influence  de  la  vie eucharistique largement  répandue  dans l’Eglise, il y  a une souffrance qui guette les nouveaux  apôtres,  une souffrance véritable,  une souffrance à  laquelle ils doivent se préparer,  une souffrance qui,  mal comprise et mal supportée, pourra réduire à néant les efforts les plus généreux.  C’est la souffrance qui viendra aux  apôtres laïques de l’Eglise elle-même à laquelle pourtant ils sont si dévoués.  Je m'explique:  De même que Dieu  a fait exprès,  par son  silence,  d’exercer Marie à la souffrance la plus angoissante, alors que pourtant il l’avait appelée « pleine de grâce », ainsi l’Eglise peut demander à ses enfants de grands sacrifices ; le bon  Dieu  peut permettre certains malentendus qui ne supposent aucune faute de part et d’autre,  mais qui sont extrêmement douloureux.  C’est l’heure de se rappeler le silence de Dieu dans l’agonie de Jésus,  dans la vie de Marie et de Joseph.  De se rappeler aussi l’attitude de Jésus,  de Marie et de Joseph.  Dieu  veut nous apprendre à aimer l’Eglise,  non  pour elle, mais pour lui. Il permet alors que nous ayons à souffrir de la part de ceux qui, pour nous,  représentent l’Eglise.  Il veut que nous imitions alors la généreuse attitude de Jésus, de Marie et de Joseph.  Accepter par discipline et par amour de Dieu  les contraintes, les malentendus,  les souffrances qui peuvent nous venir au  cours de notre apostolat de ceux-là mêmes auxquels nous sommes les plus attachés.  C’est la condition  indispensable pour que notre apostolat porte du  fruit.  En méditant sur les mystères douloureux  dans notre préparation  et notre action  de grâces eucharistiques,  nous demanderons à la Sainte Vierge de nous obtenir la force de persévérer dans la patience et le sacrifice, comme elle et avec elle, au pied de la croix rédemptrice. Les mystères glorieux  nous font comprendre un  autre aspect de l’Eucharistie. L’Eucharistie,  mémorial de la mort,  est aussi le gage de notre résurrection. La pensée de la résurrection  est donc bien  à sa place à la sainte communion.  C’est par la résurrection,  d’ailleurs,  que le Christ marque son triomphe sur le péché.  Ce triomphe lui- même,  réalisé sur la croix,  continué par la Résurrection,  est achevé par l’Ascension, et l’Ascension de Jésus est le point de départ de la nôtre.  C’est comme premier d’une immense théorie de fidèles marqués de son signe, que Jésus est entré au ciel. Nous nous dirigeons vers le ciel où  nous introduira Jésus dans la mesure où  nous penserons à notre éternité,  où  nous la désirerons. Penser au mystère de l’Ascension, c’est nous disposer à désirer le ciel,  à nous détacher de la terre, à nous élever au-dessus de nous- mêmes,   sentiments   parfaitement   adaptés   à une action de grâces après la sainte messe. Tous les mystères de la Révélation  chrétienne ne sont,  en  définitive,  qu’une manifestation  de l’amour,  de la charité divine. Dieu  nous a aimés le premier,  il nous appelle à son  amour,  voilà tout l’essentiel de la vie chrétienne.  Mais comme notre amour est froid  en  comparaison  de ce qu’il devrait être! Le troisième mystère glorieux, en  nous faisant méditer la Pentecôte,  nous suggère d’implorer de Marie la grâce d’un amour toujours plus parfait.  L’Eucharistie est le sacrement de l’amitié,  le sacrement le plus parfait,  c’est Jésus lui-même venant habiter en  nous,  comme l’ami chez l’ami. Pour être moins indignes de le recevoir, nous serons heureux  de penser souvent au grand mystère de la Pentecôte. L’Assomption  de la Très Sainte Vierge et son  couronnement dans le ciel nous apparaissent aussi comme la continuation  et le couronnement des messes et des communions dont Marie s’est nourrie pendant l’exil terrestre.  Ces deux  mystères nous incitent aussi à nous confier toujours davantage à celle qui est couronnée par son divin Fils, à celle qui est la toute-puissance suppliante. Nous  nous  sommes  étendu  beaucoup  sur cette profonde similitude des mystères du Rosaire et du  mystère eucharistique.  Nous n’avons fait pourtant qu’effleurer ce sujet qui embrasse au  fond  toute la doctrine chrétienne.  Mais nous voyons comment nous pouvons,  avec facilité,  passer par Marie pour nous nourrir dans la vie eucharistique et nous n’y  penserons jamais assez. Encore une fois,  ce n’est pas tout de nous placer devant une nourriture en  soi excellente, il faut encore, pour nous qui resterons toujours de petits enfants,  qu’une main maternelle dispose toutes choses pour que cette nourriture nous soit profitable.  En passant ainsi par Marie à travers les mystères du  Rosaire,  nos méditations eucharistiques seront plus personnelles,  plus profondes,  plus fructueuses.  Nous n’aurons pas fait que multiplier les prières vocales, nous aurons vraiment disposé nos âmes à s’unir au divin Sauveur.


APPRENDRE A PARLER

L’enfant ne doit pas simplement se nourrir, il devra parler, manifester par là la spontanéité de sa vie intérieure. Un enfant qui ne parle pas est un anormal, bien digne de pitié; son esprit est comme lié. La parole, dans l’ordre surnaturel, c’est la prière. Celle-ci n’est pas autre chose, en effet, que la conversation de notre âme avec Dieu. Et quand nous parlons de prières, nous voulons surtout signaler ici la prière personnelle, spontanée, qu’on appelle prière mentale, la prière dégagée des formules et qui établit des échanges tout spirituels, sans paroles extérieures et parfois aussi sans paroles intérieures, autrement dit, sans discours compliqués ou raisonnements abstraits. Mais parler à Dieu n’est pas chose aisée; c’est une des grandes difficultés de la vie intérieure que d’arriver à l’oraison, à dépasser ce stade de la prière purement vocale où l’âme est prisonnière de formules, où elle est comme passive, où elle emprunte ce que d’autres ont dit pour le répéter timidement. La prière intérieure est l’état de l’âme arrivée au point où elle s’exprime par elle-même, où elle dit ce qui lui plaît, comme il lui plaît, où elle acquiert en quelque sorte sa personnalité spirituelle. Elle prend conscience que Dieu n’est pas abstraction, mais la plus douce des réalités. Dieu, ce sont les trois Personnes divines, les trois en une seule divinité, c’est Dieu descendu jusqu’à nous par l’incarnation. Jésus est Fils de Dieu en même temps que notre Frère. Penser aux Personnes divines, se les représenter, songer à elles comme à quelqu’un qui existe réellement, qui est même le plus existant des êtres, celui sans lequel tous les autres ne sont que néant, celui qui est plus proche de nous que nous-mêmes, qui nous aime plus que nous ne nous aimons nous-mêmes, penser à Jésus, se dire vraiment qu’il a été, qu’il est et qu’il sera éternellement, « Jésus Christus heri et hodie », en un mot, arriver à l’étape où l’âme et Dieu conversent ensemble avec des paroles intérieures toutes personnelles, ou même sans paroles, dans la simple conscience de la douce intimité, qui est le propre des amis. Les amis aiment à se trouver l’un près de l’autre, toute rencontre est pour eux une joie infiniment douce et s’ils pouvaient, ils ne se sépareraient jamais. Ce n’est pas qu’ils aient chaque fois des choses nouvelles à se dire ni des raisons très précises de communiquer entre eux pour traiter de leurs intérêts. Ils se réunissent pour se réunir, pour goûter de leur présence mutuelle. L’âme doit en arriver là dans ses rapports avec Dieu. Ce serait ainsi, sur terre déjà, le commencement du ciel, où l’union est alors définitive et éternelle. « Si quelqu’un m’aime, dit Jésus, nous viendrons à lui et nous établirons en lui notre demeure ». Ces rapports intimes de l’âme avec Dieu, c’est la parole spirituelle, la conversation. Ces choses sont de toute beauté, leur simple rappel nous émeut profondément. Mais nous savons aussi combien il nous est difficile de nous élever à ce niveau et de nous y maintenir. Quand nous voulons parler à Dieu, nous n’arrivons souvent à peine qu’à épeler quelques mots, à balbutier. Nous sommes comme le prophète, réduits à dire a...a...a... je ne sais pas parler. Et pourtant, il faut arriver à parler à Dieu. Dans notre apostolat, que nous soyons laïques ou consacrés au service dé Dieu par l’état religieux ou ecclésiastique, la prière personnelle est absolument indispensable; pas d’apostolat véritable s’il n’est pas le trop-plein de la vie intérieure. L’apostolat sans vie intérieure est une abominable Caricature où l’égoïsme, d’une manière inconsciente souvent, tient lieu d’amour de Dieu. Tous les éducateurs de la vie spirituelle sont d’accord pour rappeler ces vérités, comme aussi pour signaler l’extrême difficulté de cet art de la parole à adresser à Dieu. Une fois qu’une âme en est arrivée à savoir parler à Dieu, on peut presque dire qu’elle est sauvée, à moins qu’elle se précipite dans la négligence voulue; persévérante, elle gardera toujours au cœur cette flamme vitale qui lui donnera la possibilité de s’adresser à tout instant, à l’heure du danger comme à l’heure de la joie, à son Père céleste. Et puisque c’est si difficile, puisque nous sommes tellement sollicités par les   distractions   terrestre alourdis par la fatigue, le sommeil, comment donc apprendre à parler ? Pas de meilleur moyen que le recours à la Très Sainte Vierge; car apprendre à parler; c’est le rôle de la maman. C’est un rôle aussi spécifiquement maternel que celui qui consiste à nourrir l’enfant. D’ailleurs, dans l’ordre spirituel, la parole intérieure est aussi une nourriture et l’Eucharistie nous est donnée aux fins de nous amener justement à ce degré de développement spirituel qui nous conduira à la parole intérieure. Nous apprendrons donc à parler dans la mesure où nous demanderons cette grâce à notre Mère du ciel. Avant donc que de nous appliquer à l’exercice spirituel, à notre méditation, nous avons autre chose à faire : c’est d’invoquer Marie et de lui demander qu’elle accomplisse sa mission auprès de nous. Il est certain alors qu’insensiblement, mais d’une manière très réelle, notre âme arrivera à se dégager de cette passivité où elle s’est trouvée tout d’abord; Dieu lui deviendra plus présent, elle saura s’adresser à lui, elle jouira de cette intimité qui établira entre elle et Lui ces liens d’affection consciente et personnelle dont nous avons parlé plus haut. Comment se fait-il que des âmes très généreuses dans l’exercice de l’ascèse chrétienne, restent si longtemps comme incapables de s’entretenir avec Dieu autrement que par des formules, alors que de petits enfants, de jeunes adolescents, sont arrivés très vite à la grâce de l’oraison personnelle ? C’est le mystère, sans doute, de l’appel de Dieu qui vient à l’heure qui lui plaît, mais c’est aussi, croyons-nous, le fait que beaucoup ne pensent pas à demander à Marie et par Marie la grâce de l’oraison. Beaucoup ne songent pas que si nous sommes par nous-mêmes impuissants à parler d’une manière personnelle, quelqu’un est là, qui a charge d’âme envers nous, charge de nous apprendre à parler, quelqu’un à qui nous pouvons et devons nous adresser chaque fois que nous voulons parler. Quand donc nous voudrons nous élever jusque vers Dieu, appliquons-nous à cette méthode toute simple, enfantine. Demandons d’abord à Marie qu’elle délie notre langue, qu’elle nous apprenne cette langue maternelle du ciel qui est la prière; nous l’apprendrons par elle comme nous avons appris, comme sans efforts, la langue maternelle de la terre, qui est celle que nous parlons le plus aisément, que nous n’oublions jamais, qui est entrée en nous par notre mère. Si nous prenons l’habitude de ne jamais commencer notre oraison personnelle sans recourir à Marie, il est certain que notre oraison deviendra fructueuse, que notre âme prendra goût à cet exercice essentiel, véritable respiration de l’âme, aussi nécessaire à l’esprit que la respiration matérielle pour le corps. Cela pourra paraître, à première vue, compliqué, s’adresser d’abord à Marie pour aller à Jésus et par lui à la Trinité, d’autant plus que nous recommanderions volontiers, pour augmenter notre propre confiance envers Marie, de commencer d’abord par demander aux anges gardiens, aux saints de notre pays, de notre profession, de nous donner un peu de la dévotion filiale qu’ils avaient envers Marie. Prier les saints et les anges de nous conduire à Marie, Marie de nous conduire à Jésus, Jésus de nous introduire auprès du Père, quel meilleur début d’oraison, et toujours possible et facile. La complication n’est que pour ceux qui n’ont pas essayé. Les élévations de l’âme, est-il besoin de le dire, se font en un clin d’œil. Mais il est bon d’insister spécialement auprès de la Sainte Vierge en s’appuyant sur le fait de sa mission maternelle. Une partie de cette mission est de nous apprendre à parler.

L’enfant commence à parler, commence aussi à se tenir debout et à marcher tout seul. Apprendre à marcher, c’est là aussi une tâche bien maternelle et difficile. Question d’équilibre, où l’instinct ne suffit pas. Que de scènes gracieuses à la fois et révélatrices d’une patience sans égale, nous voyons évoquées par ce simple rappel ! L’enfant tombera souvent avant de savoir marcher, avant de savoir courir. Sa maman le tiendra d’abord par les bras et l’obligera à s’appuyer sur ses petites jambes, à les placer l’une devant l’autre, non pas seule­ ment en les jetant devant lui, mais en les disposant de telle manière que son corps, dans un équilibre permanent, se tienne debout. L’enfant d’abord ne voudra pas, il ne comprendra pas le sens de l’exercice qu’on lui fait faire : il est habitué à se laisser porter. Pour se tenir debout, il faudra qu’il fasse effort, qu’il consente à s’appuyer un peu sur lui-même. Et lorsque la maman lui aura appris ces tout premiers exercices, le tenant encore par les bras, elle devra peu à peu diminuer son appui, et c’est alors que viendront les chutes ou du moins cet équi­ libre instable qui fait rire et pleurer le petit enfant. Et s’il tombe, il faudra encore que sa maman le relève; elle ne se lassera jamais de le reprendre et de recommencer les mêmes exercices, jusqu’à ce qu’enfin l’enfant marche tout seul. La maman assiste au progrès de son petit, elle suit chacun de ses pas, elle préside vraiment, par ses yeux, par son cœur et par ses bras, à cette évolution du petit être qui en arrive petit à petit à se conduire lui-même. Apprendre à marcher, dans l’ordre surnaturel, cela signifie apprendre à se tenir debout dans le chemin de Dieu, à avancer dans la vertu, à éviter le péché. Et nous savons par expérience combien c’est difficile. Que de bonnes résolutions nous avons prises et nous renouvelons tous les jours, et combien vite la tentation, l’insouciance, nous détournent du bien que nous avons voulu! Nous déplorons notre misère, mais savons-nous prendre le moyen qui pourra nous établir dans un équilibre suffisant ? Un pauvre pécheur, lié par son extrême faiblesse personnelle   et toutes les   circonstances défavorables du dehors, retombe sans cesse dans le péché grave, sait-il assez où se trouve son salut? Tout les saints ont insisté sur le rôle de la dévotion à la Sainte Vierge dans la résurrection spirituelle. Saint Alphonse de Liguori, en particulier, multiplie sur ce point ses avis et les exemples de son fructueux ministère. Et s’il s’agit de ces fautes journalières qui assombrissent notre joie spirituelle, de ces péchés multiples par lesquels nous refusons à Dieu tant de choses que pourtant nous lui avons promises, de ces négligences qui ternissent notre amitié surnaturelle et qui nous font pleurer à cause de notre ingratitude, nous en débarrassons-nous mieux qu’en invoquant ici de nouveau le secours de notre Mère ? Il faut nous tenir debout, il faut marcher, il faut courir, « viam mandatorum cucurri ». C’est elle qui donnera à notre organisme spirituel cet équil

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